Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/338

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cette droiture, cette naïveté, cette vérité dont il était pétri ; enfin, ce caractère, comme il dit, également éloigné de la souplesse, de l’orgueil, et du faste de la modestie. Je vous avoue que j’en suis charmée ; et si les critiques ne l’estiment plus depuis qu’elle est imprimée,

Je rends grâces aux dieux de n’être pas Romain[1]

Ne me dites-vous rien des Essais de morale et du Traité de tenter Dieu, et de la Ressemblance de m’amour-propre et de la charité ? C ’est une belle conversation que celle que l’on fait de deux cents lieues loin. Nous faisons de cela pourtant tout ce qu’on en peut faire. Je vous envoie un billet de la jolie abbesse : voyez si elle se joue joliment ; il n’en faut pas davantage pour voir l’agrément de son esprit. Adieu, ma très-aimable et très-chère, je vous recommande tous mes secrets ; je vous embrasse très-tendrement, et suis à vous plus qu’à moi-même.


153. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 12 janvier 1676.

Vous pouvez remplir vos lettres de tout ce qu’il vous plaira, et croire que je les lis toujours avec un grand plaisir et une grande approbation : on ne peut pas mieux écrire, et l’amitié que j’ai pour vous ne contribue en rien à ce jugement.

Vous me ravissez d’aimer les Essais de morale, n’avais-je pas bien dit que c’était votre fait ? Dès que j’eus commencé à les lire, je ne songeai plus qu’à vous les envoyer ; vous savez que je suis communicative, et que je n’aime point à jouir d’un plaisir toute seule. Quand on aurait fait ce livre pour vous, il ne serait pas plus digne de vous plaire. Quel langage ! quelle force dans l’arrangement des mots ! on croit n’avoir lu de français qu’en ce livre[2].

  1. Vers de Corneille dans les Horaces.
  2. Voici le jugement que porte le marquis de Sévigné sur ce livre.

    « Et moi, je vous dis que le premier tome des Essais de morale vous paraitrait tout comme à moi, si la Maranset l’abbé Têtu ne vous avaient accoutumée aux choses fines et distillées. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les galimatias vous paraissent clairs et aisés : de tout ce qui a parlé de l’homme et de l’intérieur de l’homme, je n’ai rien vu de moins agréable ; ce ne sont point là ces portraits où tout le monde se reconnaît. Pascal, la Logique de Port-Royal, et Plutarque, et Montaigne, parlent bien autrement : celui-ci parle parce qu’il veut parler, et souvent il n’a pas grand’chose à dire. Je vous soutiens de plus que ces deux premiers actes de l’opéra sont jolis, et au-dessus de la portée ordinaire de Quinault ; j’en ai fait tomber d’accord ma mère. »