Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/347

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d’envoyer M. de Vendôme en Provence. Il dit au roi, il y a huit jours : « Sire, j’espère qu’après la campagne Votre Majesté me permettra d’aller dans le gouvernement qu’elle m’a fait l’honneur de me donner. Monsieur, lui dit le roi, quand vous saurez bien gouverner vos affaires, je vous donnerai le soin des miennes. » Et cela finit tout court. Adieu, ma très-chère enfant ; je reprends dix fois la plume ; ne craignez point que je me fasse mal à la main.


157. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 10 avril 1676.

Plus j’y pense, ma fille, et plus je trouve que je ne veux point vous voir pour quinze jours : si vous venez à Vichy ou à Bourbon, il faut que ce soit pour venir ici avec rnoi ; nous y passerons le reste de l’été et l’automne ; vous me gouvernerez, vous me consolerez ; et M. de Grignan vous viendra voir cet hiver, et fera de vous à son tour tout ce qu’il trouvera à propos. Voilà comme on fait une visite à une mère que l’on aime, voilà le temps que l’on lui donne, voilà comme on la console d’avoir été bien malade, et d’avoir encore mille incommodités, et d’avoir perdu la jolie chimère de se croire immortelle[1] : elle commence présentement à se douter de quelque chose, et se trouve humiliée jusqu’au point d’imaginer qu’elle pourrait bien un jour passer dans la barque comme les autres, et que Caron ne fait point de grâce. Enfin, au lieu de ce voyage de Bretagne que vous aviez une si grande envie de faire, je vous propose et vous demande celui-ci.

Mon fils s’en va, j’en suis triste, et je sens cette séparation. On ne voit à Paris que des équipages qui partent : les cris sur la disette d’argent sont encore plus vifs qu’à l’ordinaire ; mais il ne demeurera personne, non plus que les années passées. Le chevalier est parti sans vouloir me dire adieu ; il m’a épargné un serrement de cœur, car je l’aime sincèrement. Vous voyez que mon écriture prend sa forme ordinaire : toute la guérison de ma main se renferme dans l’écriture ; elle sait bien que je la quitterai volontiers du reste d’ici à quelque temps. Je ne puis rien porter ; une cuiller me paraît la machine du monde, et je suis encore assujettie à toutes les dépendances les plus fâcheuses et les plus humiliantes que vous puissiez vous imaginer : mais je ne me plains de rien, puisque je vous écris. La duchesse de Sault me vient voir comme une de mes

  1. C’était la première maladie de madame de Sévigné.