Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/348

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anciennes amies ; je lui plais : elle vint la seconde fois avec madame de Brissac ; quel contraste ! il faudrait des volumes pour vous conter les propos de cette dernière : madame de Sault vous plairait et vous plaira. Je garde ma chambre très-fidèlement, et j’ai remis mes Pâques à dimanche, afin d’avoir dix jours entiers à me reposer. Madame de Coulanges apporte au coin de mon feu les restes de sa petite maladie : je lui portai hier mon mal de genou et mes pantoufles. On y envoya ceux qui me cherchaient ; ce fut des Schomberg, des Senneterre, des Cœuvre, et mademoiselle de Méri, que je n’avais point encore vue. Elle est, à ce qu’on dit, très-bien logée ; j’ai fort envie de la voir dans son château. Ma main veut se reposer, je lui dois bien cette complaisance pour celle qu’elle a pour moi.

Monsieur de Sêvigné.

Je vais partir de cette ville ;

Je m’en vais mercredi tout droit à Charleville,

Malgré le chagrin qui m’attend.

Je n’ai pas jugé à propos d’achever la parodie de ce couplet, parce que voilà toute mon histoire dite en trois vers. Vous ne sauriez croire la joie que j’ai de voir ma mère en l’état où elle est ; je pense que vous serez aussi aise que je le suis quand vous la verrez à Bourbon, où je vous ordonne toujours de l’aller voir ; vous pourrez fort bien revenir ici avec elle, en attendant que M. de Grignan vous rapporte votre lustre, et vous fasse reparaître comme la gala delpueblo, laflordel abril. Si vous suivez mon avis, vous serez bien plus heureuse que moi \ vous verrez ma mère, sans avoir le chagrin d’être obligée de la quitter dans deux ou trois jours : c’est un chagrin pour moi qui est accompagné de plusieurs autres que vous devinez sans peine. Enfin, me revoilà guidon, guidon éternel, guidon à barbe grise : ce qui me console, c’est qu’on a beau dire, toutes choses de ce monde prennent fin, et qu’il n’y a pas d’apparence que celle-là seule soit exceptée de la loi générale. Adieu, ma belle petite sœur, souhaitez-moi un heureux voyage : je crains bien que l'âme intéressée de M. de Grignan ne vous en empêche ; cependant je compte comme si tous deux vous aviez quelque envie de me revoir.

De madame de Sévigné.

Adieu, ma chère bonne ; j’embrasse ce comte, et le conjure d’entrer dans mes intérêts et dans les sentiments de ma tendresse.