Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/35

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On conçoit aisément que les femmes qui ont de l’esprit, et un esprit cultivé, doivent mieux écrire les lettres que les hommes même qui écrivent le mieux. La nature leur a donné une imagination plus mobile, une organisation plus délicate i leur esprit, moins cultivé par la réflexion, a plus de vivacité et de premier mouvement ; il est plus primesautier, comme dit Montaigne : renfermées dans l’intérieur de la société, et moins distraites par les affaires et par l’étude, elles mettent plus d’attention à observer les caractères et les manières ; elles prennent plus d’intérêt à tous les petits événements qui occupent ou amusent ce qu’on appelle le monde. Leur sensibilité est plus prompte, plus vive, et se porte sur un plus grand nombre d’objets. Elles ont naturellement plus de facilité à s’exprimer ; la réserve même que leur prescrivent l’éducation et les mœurs sert à aiguiser leur esprit, et leur inspire sur certains objets des tournures plus fines et plus délicates ; enfin, leurs pensées participent moins de la réflexion, leurs opinions tiennent plus à leurs sentiments > et leur esprit est toujours modifié par l’impression du moment : de là cette souplesse et cette variété de tons qu’on remarque si communément dans leurs lettres ; cette facilité de passer d’un objet à d’autres très-divers, sans effort et par des transitions inattendues, mais naturelles ; ces expressions et ces associations de mots, neuves et piquantes sans être recherchées ; ces vues fines et souvent profondes, qui ont l’air de l’inspiration ; enfin ces négligences heureuses, plus aimables que l’exactitude. Les hommes d’esprit, et plus habitués à penser et à écrire, mettent tout naturellement et comme malgré eux, dans leurs idées, une méthode qui y donne trop l’air de la réflexion ; et dans leur style, une correction incompatible avec cette grâce négligée et abandonnée qu’on aime dans les lettres des femmes.

D’ordinaire, a dit, je crois, Voltaire, les savants écrivent mal les lettres familières, comme les danseurs font mal la révérence.

Les lettres de Balzac et de Voiture, qui ont eu tant de succès dans le siècle dernier, sont oubliées aujourd’hui, parce