Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/36

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que l’amour du bel esprit est moins vif, le goût plus formé, et l’art d’écrire mieux connu. Il est resté de ce siècle immortel des lettres de deux femmes, qui vivront autant que notre langue : tout le monde a lu les lettres de madame de Maintenon, et l’on ne peut se lasser de relire celles de madame de Sévigné. Mais quelle différence entre ces deux femmes célèbres ! Les lettres de la première sont pleines d’esprit et de raison : le style en est élégant et naturel ; mais le ton en est sérieux et uniforme. Quelle grâce, au contraire, quelle variété, quelle vivacité dans celles de madame de Sévigné !

Ce qui la distingue particulièrement, c’est cette sensibilité momentanée qui s’émeut de tout, se répand sur tout, reçoit avec une rapidité extrême différents genres d’impressions. Son imagination est une glace pure et brillante où tous les objets vont se peindre, mais qui les réfléchit avec un éclat qu’ils n’ont pas naturellement. Cette mobilité d'âme est ce qui fait le talent des poètes, surtout des poètes dramatiques, qui sont obligés de revêtir presque en même temps des caractères très-divers, et de se pénétrer des sentiments les plus opposés, lorsqu’ils ont à faire parler dans la même scène l’homme passionné et l’homme tranquille, l’homme vertueux et le scélérat, Néron et Burrhus, Mahomet et Zopire, etc.

On a dit que madame de Sévigné était une caillette : cela peut être, si l’on entend simplement par caillette une femme sans cesse occupée de tous les mouvements de la société, de tous les mots qui échappent, de tous les événements qui s’y succèdent ; qui saisit tous les ridicules, recueille toutes les médisances ; qui conte avec la même vivacité une sottise plaisante et la mort d’un grand homme, le succès d’un sermon et le gain d’une bataille. Mais comment peut-on donner le nom de caillette à une femme du meilleur ton, très-instruite, pleine d’esprit, de grâces, de gaieté et d’imagination, admirée et recherchée des hommes les plus distingués du siècle de Louis XIV ?

Le mérite de son style est bien difficile à sentir pour un étranger : il tient au progrès qu’a fait la société en France, où elle a créé un langage qui n’est bien connu que des personnes