Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/356

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d’admiration, je regardais cette pièce, et je la trouvais si belle, que mon attention a dû paraître un saisissement dont je crois qu’on me saura fort bon gré ; et songez que c’était pour l’abbé Bayard, Saint-Hérem, Montjeu et PJanci, que la scène était ouverte. En vérité, vous êtes une vraie pilaude, quand je pense avec quelle simplicité vous êtes malade ; le repos que vous donnez à votre joli visage ; et enfin quelle différence ! Cela me paraît plaisant. Au reste, je mange mon petit potage de la main gauche, c’est une nouveauté. On me mande toutes les prospérités de Bouchain, et que le roi revient incessamment : il ne sera pas seul par les chemins. Vous me parliez l’autre jour de M. Courtin ; il est parti pour l’Angleterre. Il me paraît qu’il n’est resté d’autre emploi à son camarade[1] que d’adorer la belle que vous savez, sans envieux et sans rivaux. Je vous embrasse assurément de tout mon cœur, et souhaite fort de vos nouvelles. Bonsoir, comte ; ne me l’amènerez-vous point cet hiver ? voulez -vous que je meure sans la voir ?


164. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Vichy, dimanche 24 mai 1676.

Je suis ravie, en vérité, quand je reçois de vos lettres, ma chère enfant ; elles sont si aimables, que je ne puis me résoudre à jouir toute seule du plaisir de les lire ; mais ne craignez rien, je ne fais rien de ridicule ; j’en fais voir une petite ligne à Bavard, une autre au chanoine. Ah ! que ce serait bien votre fait que ce chanoine (madame de Longueval) ! et en vérité on est charmé de votre manière d’écrire. Je ne fais voir que ce qui convient ; et vous croyez bien que je me rends maîtresse de la lettre, pour qu’on ne lise pas sur mon épaule ce que je ne veux pas qui soit vu.

Je vous ai écrit plusieurs fois, et sur les chemins, et ici. Vous aurez vu tout ce que je fais, tout ce que je dis ; tout ce que je pense, et même la conformité de nos pensées sur le mariage de M. de la Garde. J’admire comme notre esprit est véritablement la dupe de notre cœur, et les raisons que nous trouvons pour appuyer nos changements. Celui de M. le coadjuteur me paraît admirable, mais la manière dont vous le dites l’est encore plus ; quand vous lui demandez des nouvelles du lundi, vous paraissez bien persuadée de sa fragilité. Je suis fort aise qu’il ait conservé sa gaieté et son visage de jubilation. J’ai toujours en

  1. Charles Colhert, marquis de Croissy.