Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/357

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vie de rire quand vous me parlez du bonhomme du Parc ; je ne trouve rien de si plaisant que de le voir seul persuadé qu’il fait des miracles : je suis bien de votre avis, que le plus grand de tous serait de vous le persuader. Je suis fort aise que ma petite soit gaie et contente ; c’était la tristesse de son petit cœur qui me faisait de la peine. Il est vrai que le voyage d’ici à Grignan n’est rien ; j’en détourne ma pensée avec soin, parce qu’elle me fait mal : mais vous ne me ferez pas croire, ma belle, que celui de Grignan à Lyon soit peu considérable ; il est tout des plus rudes, et je serais très-fâchée que vous le fissiez pour retourner sur vos pas : je ne change point d’avis là-dessus. Si vous étiez de ces personnes qu’on enlève et qu’on dérange, et qui se laissent entraîner, j’aurais espéré de vous emmener avec moi malgré vous ; mais vous êtes d’un caractère dont on ne peut se promettre de pareilles complaisances. Je connais vos tons et vos résolutions ; et cela étant ainsi, j’aime bien mieux que vous gardiez toute votre amitié et tout votre argent, pour venir cet hiver me donner la joie et la consolation de vous embrasser. Je vous promets seulement une chose, c’est que si je tombais malade ici (ce que je ne crois pas du tout assurément), je vous prierais d’y venir en diligence : mais, ma chère, je me porte fort bien ; je bois tous les matins, je suis un peu comme Nouveau[1], qui demandait : Ai-je bien du plaisir ? Je demande aussi : Rends-je bien mes eaux ? la quantité, la qualité, tout va-t-il bien ? On m’assure que ce sont des merveilles, et je le crois, et même je le sens ; car, à mes mains et à mes genoux près, qui ne sont point guéris, parce que je n’ai encore pris ni le bain ni la douche, je me porte tout aussi bien que j’aie jamais fait.

La beauté des promenades est au-dessus de ce que je puis vous en dire ; cela seul me redonnerait la santé. On est tout le jour ensemble. Madame de Brissac et le chanoine dînent ici fort familièrement : comme on ne mange que des viandes simples, on ne fait nulle façon de donner à manger. Vous aurez vu, par ce que je vous mandai avant-hier, combien je suis prête à aimer quelqu’un plus que vous. Après la pièce admirable delà colique, on nous a donné d’une convalescence pleine de langueur, qui est en vérité fort bien accommodée au théâtre : il faudrait des volumes pour dire tout ce que je découvre dans ce chef-d’œuvre des cieux. Je passe légèrement sur bien des choses, pour ne point trop écrire.

  1. Surintendant des postes, à qui la Bruyère attribue ce mot ridicule.