Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/360

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Je vous conjure, ma fille, de raisonner d’une autre manière ; et de trouver bon que d’Hacqueville et moi nous ménagions si bien le temps de votre congé que vous puissiez, être à Grignan assez longtemps, et en avoir encore pour revenir. Quelle obligation ne vous aurai-je point, si vous songez à me redonner dans l’été qui vient ce que vous m’avez refusé dans celui-ci ! Il est vrai que de vous voir pour quinze jours m’a paru une peine, et pour vous et pour moi ; et j’ai trouvé plus raisonnable de vous laisser garder toutes vos forces pour cet hiver, puisqu’il est certain que la dépense de Provence étant supprimée, vous n’en faites pas plus à Paris : si, au lieu de tant philosopher, vous m’eussiez, franchement et de bonne grâce, donné le temps que je vous demandais, c’eût été une marque de votre amitié très-bien placée ; mais je n’insiste sur rien, car vous savez vos affaires, et je comprends qu’elles peuvent avoir besoin de votre présence. Voilà comme j’ai raisonné, mais sans quitter en aucune manière du monde l’espérance de vous voir ; car je vous avoue que je la sens nécessaire à la conservation de ma santé et de ma vie. Parlez-moi du Pichon[1], est-il encore timide ? N’avez-vous point compris ce que je vous ai mandé là-dessus ? Le mien n’était point à Bouchain ; il a été spectateur des deux armées rangées si longtemps en bataille. Voilà la seconde fois qu’il n’y manque rien que la petite circonstance de se battre : mais comme deux procédés valent un combat, je crois que deux fois à la portée du mousquet valent une bataille. Quoi qu’il en soit, l’espérance de revoir le pauvre baron gai et gaillard m’a bien épargné de la tristesse. C’est un grand bonheur que le prince d’Orange n’ait point été touché du plaisir et deThonneur d’être vaincu par un héros comme le nôtre. On vous aura mandé comme nos guerriers, amis et ennemis, se sont vus galamment nelV uno, neli altro campo, et se sont fait des présents.

On me mande que le maréchal de Rochefort est très-bien mort à Nancy, sans être tué que de la fièvre double tierce. N’est-il pas vrai que les petits ramoneurs sont jolis[2] ? On était bien las des Amours. Si vous avez encore mesdames de Buous, je vous prie de leur faire mes compliments, et surtout à la mère ; les mères se doivent cette préférence. Madame de Brissac s’en va bientôt ; elle

  1. Le petit marquis.
  2. Il s’agissait d’un papier d’éventail que madame de Sévigné avait envoyé à madame de Grignan par le chevalier de Buous.