Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/361

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me fît l’autre jour de grandes plaintes de votre froideur pour elle, et que vous aviez négligé son cœur et son inclination, qui la portaient à vous. Nous demeurerons ici, la bonne d’Escars et moi, pour achever nos remèdes. Dites-lui toujours quelque chose ; vous ne sauriez comprendre les soins qu’elle a de moi. Je ne vous ai point dit combien vous êtes célébrée ici, et parle bon Saint-Hérem, et par Bavard, et par mesdames de Brissac et de Longueval.

On me fait prendre tous les jours de l’eau de poulet ; il n’y a rien de plus simple ni de plus rafraîchissant : je voudrais que vous en prissiez, pour vous empêcher de brûler à Grignan. Vous me dites de plaisantes choses sur le beau médecin de Chelles. Le conte des deux grands coups d’épée pour affaiblir son homme est fort bien appliqué. Je suis toujours en peine de la santé de notre cardinal ; il s’est épuisé à lire : en î mon Dieu, n’avait-il pas tout lu ? Je suis ravie, ma fille, quand vous parlez avec confiance de 1 amitié que j’ai pour vous ; je vous assure que vous ne sauriez trop croire combien vous faites toute la joie, tout le plaisir et toute la tristesse de ma vie, ni enfin tout ce que vous m’êtes.


166. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Vichy, lundi au soir I er juin 1676.

Allez vous promener, madame la comtesse, de venir me proposer de ne vous point écrire ; apprenez que c’est ma joie, et le plus grand plaisir que j’aie ici. Voilà un plaisant régime que vous me proposez ! laissez-moi conduire cette envie en toute liberté, puisque je suis si contrainte sur les autres choses que je voudrais faire pour vous ; et ne vous avisez pas de rien retrancher de vos lettres : je prends mon temps ; la manière dont vous vous intéresses à ma santé m’empêche bien de vouloir y faire la moindre altération. Vos réflexions sur les sacrifices que l’on fait à la raison sont fort justes dans l’état où nous sommes : il est bien vrai que le seul amour de Dieu peut nous rendre heureux en ce monde et en/l’autre ; il y a très-longtemps qu’on le dit : mais vous y avez donné un tour qui m’a frappée.

C’est un beau sujet de méditation que la mort d’un maréchal de Rochefort : un ambitieux dont l’ambition est satisfaite, mourir à quarante ans ! c’est quelque chose de bien déplorable. Il a prié, en mourant, la comtesse de Guiche[1] de venir reprendre sa femme à

  1. Cousine de la maréchale de Rochefort.