Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/37

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qui ont vécu quelque temps dans la bonne compagnie. Les finesses de ce langage consistent particulièrement dans un grand nombre de termes qui, étant un peu détournés de leur sens primitif, expriment des idées accessoires dont les nuances se sentent plutôt qu’elles ne se définissent. Il y a une infinité d’expressions et de tournures qui reviennent sans cesse dans nos conversations, et qui n’ont point d’équivalent dans les autres langues. Les mots sentiment et galanterie, qui expriment des idées bien distinctes pour un Français, ne peuvent se traduire ni en latin, ni en italien, ni en anglais. Il faut qu’un étranger soit fort avancé dans la connaissance de notre langue pour être en état de sentir le charme des lettres de madame de Sévigné et celui des fables de la Fontaine.

Le comte de la Rivière, parent de madame de Sévigné, et de qui on a un recueil de lettres en deux volumes, dit quelque part : Quand on a lu une lettre de madame de Sévigné, on sent quelque peine, parce qu’on en a une de moins à lire. Ce mot vaut mieux que le reste du recueil.

Ce qui ajoute un grand prix aux lettres de madame de Sévigné, c’est une foule de traits qui nous peignent cette cour brillante de Louis XIV. On aime à se trouver, pour ainsi dire, en société avec les plus grands personnages de ce beau règne, qui, malgré les censures d’une philosophie sèche et sévère, a toujours un éclat et un air de grandeur qui attache et qui impose. Je ne crois pas que notre siècle ait jamais le même attrait pour nos descendants. Ce qui me dégoûte de F histoire, disait une femme de beaucoup d’esprit, c’est de penser que ce que je vois aujourd’hui sera de l’histoire un jour[1]. Ce mot est spirituel, mais ne doit pas être pris à la lettre. L’histoire des intrigues du Vatican ne doit pas nous dégoûter de celle de la république romaine.

M. de Voltaire n’a pas rendu justice à madame de Sévigné, dans sa notice des écrivains du siècle de Louis XIV. « C’est dommage, dit-il, qu’elle manque absolument de goût, qu’elle ne sache pas rendre justice à Racine, qu’elle égale l’oraison

  1. On croit que ce mot est de madame du Deffant.