Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/373

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a su qu’on se plaignait qu’elle empêchait toute la France de voir le roi ; elle l’a redonné, comme vous voyez ; et vous ne sauriez croire la joie que tout le monde en a, ni de quelle beauté cela rend la cour. Cette agréable confusion, sans confusion, de tout ce qu’il y a de plus choisi, dure depuis trois heures jusqu’à six. S’il vient des- courriers, le roi se retire un moment pour lire ses lettres, et puis revient. Il y a toujours quelque musique qu’il écoute, et qui fait un très-bon effet. Il cause avec les dames qui ont accoutumé d’avoir cet honneur. Enfin on quitte le jeu à six heures ; on n’a point du tout de peine à faire les comptes ; il n’y a point de jetons ni de marques ; les poules sont au moins de cinq, six ou sept cents louis, les grosses de mille, de douze cents. On en met d’abord vingt-cinq chacun, c’est cent ; et puis celui qui fait en met dix. On donne chacun quatre louis à celui qui a le quinola ; on passe ; et quand on fait jouer, et qu’on ne prend pas la poule, on en met seize à la poule, pour apprendre à jouer mal à propos. On parle sans cesse, et rien ne demeure sur le cœur. Combien avez-vous de cœurs ? J’en ai deux, j’en ai trois, j’en ai un, j’en ai quatre : il n’en a donc que trois, que quatre ; et Dangeau est ravi de tout ce caquet : il découvre le jeu, il tire ses conséquences, il voit à qui il a affaire ; enfin j’étais fort aise de voir cet excès d’habileté : vraiment c’est bien lui qui sait le dessous des cartes, car il sait toutes les autres couleurs. On monte donc à six heures en calèche, le roi, madame de Montespan, Monsieur, madame de Thianges ef la bonne d’Heudicourt sur le strapontin, c’est-à-dire comme en paradis, ou dans la gloire de Niquée[1]. Vous savez comme ces calèches sont faites ; on ne se regarde point, on est tourné du même côté. La reine était dans une autre avec les princesses, et ensuite tout le monde attroupé, selon sa fantaisie. On va sur le canal dans des gondoles, on y trouve de la musique, on revient à dix heures, on trouve la comédie ; minuit sonne, on fait média noche ; voilà comme se passa le samedi.

De vous dire combien de fois on me parla de vous, combien on me demanda de vos nouvelles, combien on me fit de questions sans attendre la réponse, combien j’en épargnai, combien on s’en souciait peu, combien je m’en souciais encore moins, vous reconnaîtriez au naturel Yiniqua corte. Cependant elle ne fut jamais si agréable, et l’on souhaite fort que cela continue. Madame de Ne

  1. Princesse du roman des Amadis.