Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/379

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je suis si souvent à Grignan, qu’il me semble que vous me devriez voir parmi vous tous. Ce serait une belle chose de se trouver tout d’un coup aux lieux qui sont présents à la pensée. Voilà mon joli médecin (Jmonio) qui me trouve en fort bonne santé, tout glorieux de ce que je lui ai obéi deux ou trois jours. Il fait un temps frais, qui pourrait bien nous déterminer à prendre de la poudre de mon bon homme : je vous le manderai mercredi. J’espère que ceux qui sont à Paris vous auront mandé des nouvelles ; je n’en sais aucune, comme vous voyez ; ma lettre sent la solitude de cette forêt ; mais dans cette solitude vous êtes parfaitement aimée.


176. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, vendredi 18 septembre 1676.

La pauvre madame de Coulanges a une grosse fièvre avec des redoublements ; le frisson lui prit à Versailles, c’est demain le quatrième jour ; elle a été saignée, et si cela dure, elle est d’une considération et dans un lieu qui ne permettent pas qu’on lui laisse une goutte de sang. Sa petite poitrine est fort offensée de cette fièvre, et moi encore plus ; je ne puis songer à tout ce qu’elle m’a mandé sur la douleur qu’elle a de ne point revenir ici, sans en être fort touchée. Je m’en vais demain la voir, car il faut que je sois ici dimanche pour commencer ma vendange. Vous allez être bien contente, ma fille, par le temps que je vais donner à l’espérance de guérir mes mains. Corbinelli m’a renvoyé la lettre que vous lui écrivez ; vraiment, c’est la plus agréable chose qu’on puisse voir : je la veux montrer à mon père le Bossu[1], c’est mon Malebranche[2] ; il sera ravi de voir votre esprit dans cette lettre ; il vous répondra s’il le peut ; car quand il ne trouve point de raisons, il ne met point de paroles à la place. Je suis assurée que vous aimeriez la naïveté et la clarté de son esprit ; il est neveu de ce AI. de la Lane[3] qui avait une si belle femme : le cardinal de Retz vous a parlé vingt fois de sa divine beauté. Il est neveu de ce grand abbé de la Lane[4], janséniste : toute sa race a de l’esprit, et lui plus

  1. Chanoine de Sainte-Geneviève, auteur d’un traité sur le poëme épique.
  2. Nicolas Malebranche, prêtre de l’Oratoire, auteur de la Recherche de la vérité et de plusieurs ouvrages très-estimés.
  3. Pierre de la Lane, mort vers 1661, avait épousé Marie Gastelle des Roches, dont la beauté a été célébrée par Ménage et Chapelain.
  4. Noël de la Lane, abbé de Notre-Dame de Valcroissant, docteur de Sorbonne.