Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/387

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cassé. J’espère pourtant que tout s’apaisera, par le retour prochain de toutes les troupes. L’état où je suis pourrait tout seul produire cet effet ; mais ce n’est plus la mode. Je fais donc tout ce que je puis pour consoler ma mère, et du vilain temps, et d’avoir quitté Paris : mais elle ne veut pas m’ entendre quand je lui parle là-dessus. Elle revient toujours sur les soins que j’ai pris d’elle pendant sa maladie ; et, à ce que je puis juger par ses discours, elle est fort fâchée que mon rhumatisme ne soit pas universel, et que je n’aie pas la fièvre continue, afin de pouvoir me témoigner toute la tendresse et toute l’étendue de sa reconnaissance. Elle serait tout à fait contente, si elle m’avait seulement vu en état de me faire confesser ; mais, par malheur, ce n’est pas pour cette fois : il faut qu’elle se réduise à me voir clopiner, comme clopinait jadis M. de la Rochefoucauld, qui va présentement comme un Basque. Nous espérons vous voir bientôt ; ne nous trompez pas, et ne faites point l’impertinente : on dit que vous l’êtes beaucoup sur ce chapitre. Adieu, ma belle petite sœur, je vous embrasse mille fois du meilleur de mon cœur.

Madame de Sévigné.

Vous pouvez compter que vous aurez votre pension ; j’irai la semaine qui vient à Versailles, pour parler à M. Colbert avec le grand d’Hacqueville : il nous la donna si vite pour vous faire partir ; ne voudra-t-il point en faire autant pour vous faire revenir ? Adieu, ma très-chère et très-parfaitement aimée ; j’embrasse tout ce qui est auprès de vous. Dieu sait si je souhaite de vous voir : cependant je vous avoue que je ne veux point que ce soit contre votre gré, ni avec tout le chagrin que je crois voir dans vos lettres : il faut que vous partagiez cette joie, si vous voulez que la mienne soit entière.


180. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

ALivry, mercredi 4 novembre 1676.

C’est une grande vérité, ma fille, que l’incertitude ôte la liberté. Si vous étiez contrainte, vous prendriez votre parti, vous ne seriez point suspendue comme le tombeau de Mahomet[1], l’une des pier

  1. Il est faux que le tombeau de Mahomet, à Médine, soit suspendu à une pierre d’aimant. Celte fable est démentie par tous les écrivains orientaux.