Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/388

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res d’aimant aurait emporté l’autre ; vous ne seriez plus dragonnée, qui est un état violent. La voix qui vous crie, en passant la Durance : Ah ! ma mère ! ah ! ma mère ! se ferait entendre dès Grignan : ou celle qui conseille delà quitter ne vous troublerait point à Briare : ainsi je conclus qu’il n’y a rien de si opposé à la liberté que l’indifférence et l’indétermination. Mais le sage la Garde, qui a repris toute sa sagesse, a-t-il perdu aussi son libre arbitre ? Ne sait-il plus conseiller ? ne sait-il point décider ? Pour moi, vous avez vu que je décide comme un concile ; mais la Garde, qui revient à Paris, ne saurait-il placer son voyage utilement pour nous ?

Si vous venez, ce n’est pas mal dire de descendre à Sully : la petite duchesse vous enverra sûrement jusqu’à Nemours, où certainement vous trouverez des amis, et le lendemain encore des amis ; ainsi en relais d’amis vous vous trouverez dans votre chambre. On vous aurait un peu mieux reçue la dernière fois ; mais votre lettre arriva si tard, que vous surprîtes tout le monde, et vous pensâtes même ne me pas trouver, qui eût été une belle chose ; nous ne tomberions pas dans le même inconvénient. Il faut que je me loue du chevalier {de Grignan)-, il arriva vendredi au soir à Paris, il vint samedi dîner ici ; cela n’est-il pas joli ? 'Je l’embrassai de fort bon cœur ; nous dîmes ce que nous pensions touchant vos incertitudes. Je m’en vais faire un tour à Paris. Je veux voir M. de Louvois sur votre frère, qui est toujours ici sans congé ; cela m’inquiète. Je veux voir aussi M. Colbert pour votre pension : je n’ai que ces deux petites visites à faire. Je crois que j’irai jusqu’à Versailles ; je vous en rendrai compte. Il fait cependant ici le plus beau temps du monde ; la campagne n’est point encore affreuse ; les chasseurs ont été favorisés de saint Hubert.

Nous lisons toujours saint Augustin avec transport : il y a quelque chose de si noble et de si grand dans ses pensées, que tout le mal qui peut arriver de sa doctrine, aux esprits mal faits, est bien moindre que le bien que les autres en retirent. Vous croyez que je fais l’entendue ; mais quand vous verrez comme cela s’est familiarisé, vous ne serez pas étonnée de ma capacité. Vous m’assurez que si vous ne m’aimiez pas plus que vous ne le dites, vous ne m’aimeriez guère : je suis tentée de ravauder sur cette expression, et de la tant retourner que j’en fasse une rudesse ; mais non, je suis persuadée que vous m’aimez, et Dieu sait aussi bien mieux que vous de quelle manière je vous aime. Je suis fort aise que Pau-