Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quant à la comparaison de Mascaron avec Fléchier,y M. de Voltaire s’est bien trompé.

L’oraison funèbre de Mascaron parut la première, et madame de Sévigné la trouva belle ; mais lorsqu’elle vit celle de Fléchier, elle n’hésita pas à lui donner la préférence. Lors même qu’elle se trompe, on trouve dans ses jugements et dans ses opinions toujours de la bonne foi, et jamais de suffi sauce.

Il me semble que ceux même qui aiment le plus cette femme extraordinaire ne sentent pas encore assez toute la supériorité de son esprit. Je lui trouve tous les genres d’esprit : raisonneuse ou frivole, plaisante ou sublime, elle prend tous les tons avec une facilité inconcevable. Je ne puis pas me refuser au désir de justifier mon admiration par la citation des traits les plus piquants qui se présenteront à ma mémoire ou à mes yeux, en parcourant ses lettres au hasard.

C’est surtout dans les récits et les tableaux où la grâce, la souplesse et la vivacité de son esprit brillent avec le plus d’éclat. Il n’y a rien peut-être à comparer à ce conte de l’archevêque de Reims, le Tellier : « L’archevêque de Reims revenait fort vite de Saint-Germain, c’était comme un tourbillon ; s’il se croit grand seigneur, ses gens le croient encore plus que lui. Il passait au travers de Nanterre, tra, tra, tra : ils rencontrent un homme à cheval : Gare ! gare ! Ce pauvre homme veut se ranger, son cheval ne le veut pas, et enfin le carrosse et les six chevaux renversent cul par-dessus tête le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et si bien par-dessus, que le carrosse fut versé et renversé : en même temps l’homme et le cheval, au lieu de s’amuser à être roués, se relèvent miraculeusement, remontent l’un sur l’autre, et s’enfuient, et courent encore, pendant que les laquais et le cocher de l’archevêque même se mettent à crier : Arrête, arrête ce coquin ! qu’on lui donne cent coups !

« L’archevêque, en racontant ceci disait : Si f avais tenu ce maraud-là, je lui aurais rompu les bras et coupé les oreilles »