Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/40

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Voici un tableau d’un autre genre : « Madame de Brissac avait aujourd’hui la colique ; elle était au lit, belle et coiffée à coiffer tout le monde : je voudrais que vous eussiez vu ce qu’elle faisait de ses douleurs, et l’usage qu’elle faisait de ses yeux, et des cris et des bras, et des mains qui traînaient sur sa couverture, et la compassion qu’elle voulait qu’on eût. Chamarrée de tendresse et d’admiration, j’admirais cette pièce et la trouvais si belle, que mon attention a dû paraître un saisissement, dont je crois qu’on me saura fort bon gré ; et songez que c’était pour l’abbé Bayard, Saint-Hérem, Montjeu et Planci, que la scène était ouverte.»

Écoutez-la à présent annoncer la mort subite de M. de Louvois ; voyez comme son ton s’élève sans se guinder. « Il n’est donc plus, ce ministre puissant et superbe, dont le moi occupait tant d’espace, était le centre de tant de choses ! Que d’intérêts à démêler, d’intrigues à suivre, de négociations à terminer !... mon Dieu ! encore quelque temps : je voudrais humilier le duc de Savoie, écraser le prince d’Orange : encore un moment !... Non, vous n’aurez pas un moment, un seul moment. » Ce dernier mouvement n’est-il pas digne de Bossuet ? Il me semble qu’on n’est pas plus sublime avec plus de simplicité.

Lorsque le prince de Longueville fut tué au passage du Rhin, oh ne savait comment l’apprendre à la duchesse de Longueville, sa mère, qui l’idolâtrait. Il fallait pourtant lui annoncer qu’il y avait eu une affaire : Comment se porte mon frère, dit-elle ? Sa pensée n’osa pas aller plus loin, ajoute madame de Sévigné. Ce trait n’est-il pas admirable ? Le tableau qu’elle fait ensuite de la douleur de cette mère tendre fait frissonner. « Cette liberté que prend la mort d’interrompre la fortune doit consoler de n’être pas au nombre des heureux ; on en trouve la mort moins amère.» Les lettres de madame de Sévigné sont semées de réflexions semblables, d’une vérité frappante, exprimées d’une manière énergique, fine, originale, et entremêlées souvent de traits plaisants et curieux.

Elle dit quelque part, en parlant d’une vieille femme de sa