Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/393

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que vous soyez dans un meilleur état. Je suis chez la bonne Troène, dont l’amitié est charmante ; nulle autre ne m’était propre ; je vous écrirai encore demain un mot ; ne m’ôtez point cette unique consolation. J’ai bien envie de savoir de vos nouvelles ; pour moi, je suis en parfaite santé, les larmes ne me font point de mal. J’ai dîné, je m’en vais chercher madame de Vins et mademoiselle de Méri. Adieu, mes chers enfants : que cette calèche que j’ai vue partir est bien précisément ce qui m’occupe, et le sujet de toutes mes pensées !


185. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 14 juin 1677.

Tai reçu votre lettre de Villeneuve-la-Guerre. Enfin, ma fille, il est donc vrai que vous vous portez mieux, et que le repos, le silence et la complaisance que vous avez pour ceux qui vous gouvernent, vous donnent un calme que vous n’aviez point ici. Vous pouvez vous représenter si je respire, d’espérer que vous allez vous rétablir ! je vous avoue que nul remède au monde n’est si bon pour me soulager le cœur, que de m’ôter de l’esprit l’état où je vous ai vue ces derniers jours. Je ne soutiens point cette pensée ; j’en ai même été si frappée, que je n’ai pas démêlé la part que votre absence a eue dans ce que j’ai senti. Vous ne sauriez être trop persuadée de la sensible joie que j’ai de vous voir, et de l’ennui que je trouve à passer ma vie sans vous : cependant je ne suis pas encore entrée dans ces réflexions, et je n’ai fait que penser à votre état, transir pour l’avenir, et craindre qu’il ne devienne pis. Voilà ce qui m’a possédée ; quand je serai en repos là-dessus, je crois que je n’aurai pas le temps de penser à toutes ces autres choses, et que vous songerez à votre retour. Ma chère enfant, il faut que les réflexions que vous ferez encore entre ci et là vous ôtent un peu des craintes inutiles que vous avez pour ma santé : je me sens coupable d’une partie de vos dragons ; quel dommage que vous prodiguiez vos inquiétudes pour une santé toute rétablie, et qui n’a plus à craindre que le mal que vous faites à la vôtre ! Je suis assurée que deux ou trois mois vous ont quelquefois défiguré vos dragons d’une telle sorte, que vous ne les avez pas reconnus. Songez, ma fille, qu’ils sont toujours comme dans ce temps-là, et que c’est votre seule imagination qui leur donne un prix qui n’est pas. Vous qui avez tant de raison et de courage, faut-il que vous soyez la dupe de ces vains fantômes ? Vous