Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/392

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un autre cours aux petits esprits, et d’autres idées à votre imagination. Je n’irai point à Melun ; je craindrais de vous donner une mauvaise nuit, par une dissipation peu convenable au repos : mais je vous attendrai à dîner à Villeneuve-Saint-Georges ; vous y trouverez votre potage tout chaud ; et, sans faire tort à qui que ce puisse être, vous y trouverez la personne du monde qui vous aime le plus parfaitement. L’abbé vous attendra dans votre chambre bien éclairée, avec un bon feu. Ma chère enfant, quelle joie ! puis-je en avoir jamais une plus sensible ?

N. B. Madame de Grignan arriva à Paris le 22 décembre 1676, et elle ne retourna en Provence qu’aie mois de juin 1677.


184. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mardi 8 juin 1677.

Non, ma fille, je ne vous dis rien, rien du tout ; vous ne savez que trop ce que mon cœur est pour vous : mais puis-je vous cacher tout à fait l’inquiétude que me donne votre santé ? c’est un endroit par où je n’avais pas encore été blessée ; cette première épreuve n’est pas mauvaise : je vous plains d’avoir le même mal pour moi ; mais plût à Dieu que je n’eusse pas plus de sujet de craindre que vous ! Ce qui me console, c’est l’assurance que M. de Grignan m’a donnée de ne point pousser à bout votre courage ; il est chargé d’une vie où tient absolument la mienne : ce n’est pas une raison pour lui faire augmenter ses soins ; celle de l’amitié qu’il a pour vous est la plus forte. C’est aussi dans cette confiance, mon très-cher comte, que je vous recommande encore ma fille : observez-la bien, parlez à Montgobert, entendez-vous ensemble pour / une affaire si importante. Je compte fort sur vous, ma chère Montgobert. Ah ! ma chère enfant, tous les soins de ceux qui sont autour de vous ne vous manqueront pas ; mais ils vous seront bien inutiles, si vous ne vous gouvernez vous-même. Vous vous sentez mieux que personne ; et si vous trouvez que vous ayez assez de force pour aller à Grignan, et que tout d’un coup vous trouviez que vous n’en avez pas assez pour revenir à Paris ; si enfin les médecins de ce pays-là, qui ne voudront pas que l’honneur de vous guérir leur échappe, vous mettent au point d’être plus épuisée que vous ne l’êtes ; ah ! ne croyez pas que je puisse résister à cette douleur. Mais je veux espérer qu’à notre honte tout ira bien. Je ne me soucierai guère de l’affront que vous ferez à l’air natal, pourvu