Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/402

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ne faut point se faire la cruauté de s’en priver. Je chante donc encore une fois : Aimez, aimez Pauline ; aimez sa grâce extrême[1].

Nous attendrons jusqu’à la Saint-Remy ce que pourra faire madame de Guénégaud pour sa maison : si elle n’a rien fait alors, nous prendrons notre résolution, et nous en chercherons une pour Noël ; ce ne sera pas sans beaucoup de peine que je perdrai l’espérance d’être sous un même toit avec vous ; peut-être que tout cela se démêlera à l’heure que nous y penserons le moins. Je crois que M. de la Garde s’en ira bientôt : je lui dirai adieu à Paris ; ce vous sera une augmentation de bonne compagnie. M. de Charost m’a écrit pour me parler de vous ; il vous fait mille compliments.

J’aurais tout l’air, ma fille, de penser comme vous sur le poëme épique ; le clinquant[2] du Tasse m’a charmée. Je crois pourtant que vous vous accommoderez de Virgile : Corbinelli me l’a fait admirerai faudrait quelqu’un comme lui pour vous accompagner dans ce voyage. Je m’en vais tâter du Schisme des Grecs ; on en dit du bien ; je conseillerai à la Garde de vous le porter. Je ne sais aucune sorte de nouvelle.

Monsieur de Sévigné.

Ah ! pauvre esprit, vous n’aimez point Homère ! Les ouvrages les plus parfaits vous paraissent dignes de mépris, les beautés naturelles ne vous touchent point : il vous faut du clinquant, ou des petits corps[3]. Si vous voulez avoir quelque repos avec moi, ne lisez point Virgile ; je ne vous pardonnerais jamais les injures que vous pourriez lui dire. Si vous vouliez cependant vous faire expliquer le sixième livre et le neuvième où est l’aventure de Nisus et d’Euryalus, et le onze et le douze, je suis sûr que vous y trouveriez du plaisir : Turnus vous paraîtrait digne de votre estime et de votre amitié ; et en un mot, comme je vous connais, je craindrais fort pour M. de Grignan qu’un pareil personnage ne vînt aborder en Provence. Mais moi qui suis bon frère, je vous souhaiterais du meilleur de mon cœur une telle aventure ; puisqu’il est écrit que

  1. Parodie de ce vers de l’opéra de Thésée, acte II, scène Ire :
    Aimez, aimez Thésée ; aimez sa gloire extrême.
  2. Expression de Boileau.
  3. On sait que madame de Grignan aimait la philosophie de Descartes, et qu’elle en faisait sa principale étude.