Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/408

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

patience de savoir si on ne s’était point battu, car on nous avait ôté entièrement la levée du siège de Charleroi, qui s’était faussement répandue, on ne sait comment. Je priai donc M. de Coulanges de m’envoyer à Melun, où j’allais coucher, ce qu’il apprendrait de madame de Louvois. En effet, je vis arriver un laquais, qui m’apprit que le siège de Charleroi était levé tout de bon, et qu’il avait vu le billet que M. de Louvois écrit à sa femme ; en sorte que je pouvais continuer mon voyage tranquillement : il est vrai que c’est un grand plaisir de n’avoir plus à digérer les inquiétudes de la guerre. Que dites-vous du bon prince d’Orange ? Ne diriez-vous point qu’il ne songe qu’à rendre mes eaux salutaires, et à faire trouver nos lettres ridicules, comme il y a quatre ans, lorsque nous faisions des raisonnements sur un avenir qui n’était point ? Il ne nous attrapera pas une troisième fois.

Je reprends donc mon voyage, où je marche sur vos pas : j’eus le cœur un peu embarrassé à Villeneuve-Saint-Georges, en revoyant ce lieu où nous pleurâmes de si bon cœur. L’hôtesse me paraît une personne de bonne conversation : je lui demandai fort comme vous étiez la dernière fois ; elle me dit que vous étiez triste, que vous étiez maigre, et que M. de Grignan tâchait de vous donner courage, et de vous faire manger : voilà comme j’ai cru que cela était. Elle me dit qu’elle entrait bien dans nos sentiments ; qu’elle avait marié aussi sa fille, loin d’elle, et que le jour de leur séparation elles demeurirent toutes deux pâmées ; je crus qu’elle était pour le moins àLyon. Je lui demandai pourquoi elle l’avait envoyée si loin ; elle me dit que c’est qu’elle avait trouvé un bon parti, un honnête homme, Dieu marci. Je la priai de me dire le nom de la ville : elle me dit que c’était à Paris, qu’il était boucher, logeant vis-à-vis du palais Mazarin, et qu’il avait l’honneur de servir M. du Maine, madame de Montespan, et le roi, fort souvent. Je vous laisse méditer sur la justesse de la comparaison, et sur la naïveté delà bonne hôtesse. J’entrai dans sa douleur, comme elle était entrée dans la mienne ; et j’ai toujours marché depuis par le plus beau temps, le plus beau pays et le plus beau chemin du monde. Vous me disiez qu’il était d’hiver quand vous y passâtes ; il est devenu d’été, et d’un été le plus tempéré qu’on puisse imaginer. Je demande partout de vos nouvelles, et l’on m’en dit partout ; si je n’en avais point reçu depuis, je serais un peu en peine, car je vous trouve maigre ; mais je me flatte que la princesse Olympie aura fait