Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/418

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mente, c’eût été une fièvre continue, avec une fluxion sur la poitrine ; mais, Dieu merci, il est considérablement mieux, et je n’ai plus aucune inquiétude.

Je reçois mille amitiés de madame de Vins. Je reçois des visites en l’air des Rochefoucauld, des Tarente ; c’est quelquefois dans la cour de Carnavalet, sur le timon de mon carrosse. Je suis dans le chaos ; vous trouverez le démêlement du monde et des éléments : vous recevrez ma lettre d’Autri : je serais plus fâchée que vous, si je passais un ordinaire sans vous entretenir. J’admire comme je vous écris avec vivacité, et comme je hais d’écrire à tout le reste du monde. Je trouve, en écrivant ceci, que rien n’est moins tendre que ce que je dis ; comment ! j’aime à vous écrire : c’est donc signe que j’aime votre absence ; voilà qui est épouvantable. Ajustez tout cela, et faites si bien que vous soyez persuadée que je vous aime de tout mon cœur.

J’ai reçu une lettre de notre cardinal ; j’étais dans une véritable inquiétude de sa santé ; il me mande qu’elle est bien meilleure ; j’en remercie la Providence. Corbinelli vous remerciera lui-même de vos bontés ; il n’est point bien encore, l’or potable l’a desséché ; il a trop pris sur lui, je crois qu’on le mettra au lait. Bonsoir, ma très-belle et très-aimable, et très-parfaitement aimée.


198. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

À Iivry, ce 3 novembre 1677.

Je suis venue ici achever les beaux jours, et dire adieu aux feuilles ; elles sont encore toutes aux arbres, elles n’ont fait que changer de couleur : au lieu d’être vertes elles sont aurore, et de tant de sortes d’aurore, que cela compose un brocard dor riche et magnifique, que nous voulons trouver plus beau que du vert, quand ce ne serait que pour changer. Je suis logée à l’hôtel de Carnavalet. C’est une belle et grande maison ; je souhaite d’y être longtemps, car le déménagement m’a beaucoup fatiguée. J’y attends la belle comtesse, qui sera fort aise de savoir que vous l’aimez toujours. J’ai reçu ici votre lettre de Bussy. Vous me parlez fort bien, en vérité, de Racine et de Despréaux. Le roi leur dit il y a quatre jours : Je suis fâché que vous ne soyez venus à cette dernière campagne, vous auriez vu la guerre, et votre voyage n’eût pas été long. Racine lui répondit : Sire, nous sommes deux bourgeois qui n’avons que des habits de ville, nous en commandâmes de campa-