Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/423

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petits enfants. Le Roi paraît fâché de cet excès. Monsieur a mis toutes ses pierreries en gage. Vous aurez appris que la paix d’Espagne est ratifiée ; je crois que celle d’Allemagne suivra bientôt.

La pauvre belle comtesse est si pénétrée de ce grand froid, qu’elle m’a priée de vous faire ses excuses, et de vous assurer de ses véritables et sincères amitiés, et à madame de Coligny. Sa poitrine, son encre, sa plume, ses pensées, tout est gelé. Elle vous assure que son cœur ne l’est pas ; je vous en dis autant du mien, mes chers enfants. Quand je veux penser à quelque chose qui me plaise, je songe à vous deux. Je vis l’autre jour ma nièce de Sainte-Marie ; au travers de cette sainteté, on voit bien qu’elle est votre fille.

Mais, hélas ! que dites-vous de l’affliction de M. de Navailles, qui perd son fils d’une légère maladie, après l’avoir vu exposé mille fois aux dangers de la guerre ? La prudence humaine qui faisait amasser tant de trésors, et faire de si grands projets pour l’établissement de ce garçon, me fait bien rire quand elle est confondue à ce point-là. Je vous demande beaucoup d’amitié pour M. Jeannin de ma part.

Monsieur de Corbinelli.

J’ai vu un mot de vous, monsieur, qui m’a fait un grand plaisir. Si j’écoutais mon enthousiasme, je vous écrirais une grosse lettre de remercîments ; c’est-à-dire que, par l’emportement de ma reconnaissance, je tomberais dans l’ingratitude ; car c’est ainsi qu’on doit appeler une grosse lettre de moi. Mon Dieu ! que je conçois bien Je plaisir qu’il y aurait d’être en tiers avec vous et madame de Coligny, et d’y parler à cœur ouvert auprès d’un grand feu à Chaseu ! J’irai un jour, et je me promets à moi-même cette satisfaction : car vous savez que c’est toujours soi qu’on cherche à satisfaire sur toutes choses, et qu’il n’y a véritablement qu’une passion, qui est l’amourpropre. Je me propose d’examiner avec vous deux bien des choses, et de vous inspirer un sentiment de mépris pour l’approbation du public sur bien des gens qui ne la méritent pas. J’aime à examiner même les choses qui me plaisent, afin de voir si je ne me suis point trompé. Je vous demande que nous fassions ensemble la même démarche. Nous parlerons de la cour, de la guerre, de la politique, des vertus, des passions et des vices, en honnêtes gens.

Au reste, je me suis avisé défaire des remarques sur cent maximes de M. de la Rochefoucauld. J’en suis à examiner celle-ci :