Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/43

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son sentiment s’embellit par la pensée et par l’imagination.

Sa tendresse pour sa fille emprunte souvent des tournures très-ingénieuses sans cesser d’être naturelles. « Savez- vous ce que je fais de ma lunette ? écrit-elle à madame de Grignan. Je ne cesse de la tourner du côté dont elle éloigne ; les importuns qui m’environnent disparaissent, et je peux ne penser qu’à vous. »

« Je regrette, dit-elle dans un autre endroit, ce que je passe de ma vie sans vous, et j’en précipite les restes pour vous retrouver, comme si j’avais bien du temps à perdre. » Elle répète plusieurs fois cette idée : « Je suis bien aise que le temps coure et m’entraîne avec lui, pour me redonner à vous.» Et dans un autre endroit : « Je suis si désolée de me retrouver toute seule, que, contre mon ordinaire, je souhaite que le temps galope, et pour me rapprocher celui de vous revoir, et pour m’effacer un peu ces impressions trop vives.... Est-ce donc cette pensée si continuelle qui vous fait dire qu’il n’y a point d’absence ? J’avoue que, par ce côté, il n’y en a point. Mais comment appelez- vous ce que l’on sent quand la présence est si chère ? Il faut, de nécessité, que le contraire soit bien amer.

« Mon cœur est en repos quand il est près de vous ; c’est son état naturel, le seul qui peut lui plaire....

« Il me semble, en vous perdant, qu’on m’a dépouillée de tout ce que j’avais d’aimable.... Je serais honteuse, si, depuis huit jours, j’avais fait autre chose que pleurer.... Je ne sais où me sauver de vous, dit-elle ailleurs à sa fille. »

Elle écrit au président de Moulceau : « J’ai été reçue à< bras ouverts de madame de Grignan, avec tant de joie, de tendresse et de reconnaissance, qu’il me semblait que je n’étais pas venue encore assez tôt ni d’assez loin. »

Je sens quelque peine à remarquer les défauts d’une femme si aimable et si rare, mais il faut le dire pour l’honneur de la vérité : madame de Sévigné, avec tant d’esprit et un si bon esprit, avait aussi les sottises de son siècle et de son rang. Elle était glorieuse de sa naissance jusqu’à la puérilité. On la voit