Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/435

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très-beau : mais, mon Dieu, quelles fatigues pour y parvenir ! que de nuits sur la paille, et sans dormir, et sans manger rien de chaud ! Ma chère fille, vous ne me dites pas comme vous vous en portez, et comme cette poitrine en est échauffée, et comme votre sang en est irrité. Quelle circonstance à notre séparation, que la crainte trop bien fondée que j’ai pour votre santé ! Je crois entendre cette bise qui vous ôte la respiration. Hélas ! pouvais-je me plaindre en comparaison de ce que je souffre, quand je n’avais que votre absence à supporter ? Je croyais qu’on ne pouvait pas être pis ; on n’imagine rien au delà : j’ignorais la peine où je suis ; je la trouve si dure à supporter, que je regarderais comme une tranquillité l’état où j’étais alors. Encore si je pouvais me fier à vous, et me consoler dans l’espérance que vous aurez soin et pitié de vous et de moi, que vous donnerez du temps à vous reposer, à vous rafraîchir, à prendre ce qui peut apaiser votre sang ! mais je vous vois peu attentive à votre personne, dormant peu, mangeant peu, et cette écritoire toujours ouverte. Ma fille, si vous m’aimez, donnez-moi quelque repos, en prenant soin de vous. Ma chère Pauline, ayez soin de votre belle maman. Pour moi, je me porte très-bien.

Il a fait le plus beau temps du monde. Le bon abbé est parfaitement guéri ; son rhume est allé avec sa fièvre : l’Anglais est un homme divin. Nous ne pensons point à faire un plus long voyage que Livry. Il reste une certaine timidité après les grandes maladies, qui ne permet pas qu’on s’éloigne du secours.

J’écrirai à Pellisson pour le frère de Montgobert, j’y ferai comme pour ma cure. Vous n’avez qu’à me donner toutes sortes de commissions : c’est le plus aimable amusement que je puisse avoir en votre absence. En voici un que j’ai trouvé ; c’est un tome de Montaigne, que je ne croyais pas avoir apporté : ah, l’aimable homme ! qu’il est de bonne compagnie ! c’est mon ancien ami ; mais à force d’être ancien, il m’est nouveau. Je ne puis lire qu’avec les larmes aux yeux ce que dit le maréchal de Montluc du regret qu’il a de ne s’être pas communiqué à son fils, et de lui avoir laissé ignorer la tendresse qu’il avait pour lui. Lisez cet endroit-là, je vous prie, et me dites comme vous vous en trouverez ; c’est à madame d’Estissac, De l’amour des pères envers leurs enfants[1]. Mon Dieu, que ce livre est plein de bon sens !

  1. On sait que J. J. Rousseau a pris dans ce chapitre beaucoup de pensées et d’expressions qui font l’ornement de son Émile.