Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/439

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croit que quand on leur arrache le cœur c’en est fait, et qu’on n’en entendra plus parler ; point du tout, elles sont encore en vie, elles remuent encore. Je ne sais pas si cette sottise vous paraîtra comme à nous ; mais nous étions en train de la trouver plaisante : on en peut faire souvent l’application.

Voici des affaires qui vous viennent, je crois que vous allez à Lambesc ; il faut tâcher de se bien porter, de rajuster un peu les deux houts de l’année qui sont dérangés, et les jours passeront : j’ai vu que j’en étais avare ; je les jette à la tête présentement. Je m’en retourne à Livry jusqu’après la Toussaint : j’ai encore besoin de cette solitude, je n’y veux mener personne ; je lirai, je tâcherai de songer à ma conscience ; l’hiver sera encore assez long.

Votre pigeon est aux Rochers comme un ermite, se promenant dans ses bois : il a fort bien fait aux états : il avait envie d’être amoureux d’une mademoiselle de la Coste. Il faisait tout ce qu’il pouvait pour la trouver un bon parti, mais il n’a pu. Cette affaire a une côte rompue ; cela est joli. Il s’en va à Bodégat, de là au Buron, et reviendra à Noëlavec M. d’Harouïs etM. de Coulanges. Ce dernier a fait des chansons extrêmement jolies ; mesdemoiselles, je vous les enverrai. Il y avait à Rennes une mademoiselle Descartes, propre nièce de votre père (Descartes), qui a de l’esprit comme lui ; elle fait très-bien des vers. Mon fils vous parle, vous apostrophe, vous adore, ne peut plus vivre sans son pigeon ; il n’y a personne qui n’y fût trompé. Pour moi, je crois son amitié fort bonne, pourvu qu’on la connaisse pour être tout ce qu’il en sait ; peut-on lui en demander davantage ? Adieu, ma très-chère et très-aimable ; je ne veux pas entreprendre de vous dire combien je vous aime ; je crois qu’à la fin ce serait un ennui. Je fais mille amitiés à M. de Grignan, malgré son silence. J’étais ce matin avec le chevalier et M. de la Garde : toujours pied ou aile de cette famille. Mesdemoiselles, comment vous portez-vous, et cette fièvre qu’est-elle devenue ? Mon cher petit marquis, il me semble que votre amitié est considérablement diminuée ; que répond-il ? Pauline, ma chère Pauline, où êtes-vous, ma chère petite ?


211. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, jeudi au soir 2 novembre 1679.le vous écris ce soir, ma très-chère, parce que j’ai envie d’aller

demain matin à Pomponne. Madame de Vins m’en priait l’autre