Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/448

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à qui elle fait la mine, "disant qu’il Ta trompée, serait admirable à lui montrer, accompagné de l’envie que vous avez d’apprendre de ses nouvelles, si vous n’aviez pas dit si franchement votre avis du goût de madame de Villars pour elle : cet endroit me fera cacher l’autre, qui l’aurait fort réjouie. Je vous prie de me reparler d’elle, car elle ne cesse de me prier de vous faire mille compliments ; elle veut voir les endroits où vous parlez de votre santé ; elle y prend intérêt, et à son petit bon ami : il faut rendre tout cela. Je ne sais quelle disparate je vais faire, en vous disant que la Trousse n’est point encore revenu ; je suis bien trompée, ou c’est un péché qu’il fait contre les idées de l’amour, des plus gros qu’il se fasse. Mon Dieu, qu’il y a de folies dans le monde ! il me semble que je vois quelquefois les loges et les barreaux devant ceux qui me parlent ; et je ne doute pas aussi qu’ils ne voient les miens.


214. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 5 janvier 16S0.

Ah ! ma très-chère, que je suis obligée à madame du Janet de vous avoir ôté la plume ! Si, par l’air de Salon et par les fatigues, vous retombez à tout moment, .quelles raisons n’ai-je point de vous conjurer mille fois de ne point écrire ? Vous parlez de votre mal avec une capacité qui m’étonne ; mais l’intérêt que je prends à votre santé me fait comprendre tout ce que vous dites. Que j’ai d’envie que cette bise et ce vent du midi vous laissent en repos ! Mais quel malheur d’être blessée de deux vents qui sont si souvent dans le monde, et surtout en Provence ? Je vous demande, ma fille, si, dans l’état où vous êtes, je puis m’empêcher d’y penser tristement.

Je fus hier aux grandes Carmélites avec Mademoiselle, qui eut la bonne pensée de mander à madame de Lesdiguières de me mener. Nous entrâmes dans ce saint lieu ; je fus ravie de l’esprit de la mère Agnès[1] ; elle me parla de vous, comme vous connaissant par sa sœur. Je vis madame Stuart belle et contente. Je vis mademoiselle d’Épernon[2], qui ne me trouva pas défigurée ; il y avait plus de trente ans que nous ne nous étions vues ; elle me parut horriblement changée. La petite du Janet ne me quitta point ; elle a le voile blanc depuis trois jours ; c’est un prodige de ferveur et de vocation :

  1. La mère Agnès de Jésus-Maria. Elle était Gigault de Bellefonds, et sœur de la marquise de Villars.
  2. Anne-Louise-Christine de Foix de la Valette-Ëpernon.