Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/455

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place à la cour : mais vous savez où cela est réglé, et l’inutilité du chagrin qu’on ne peut s’empêcher d’en avoir.

Je ne sais rien encore de ce qui s’est passé à la noce. J’ignore si ce fut à la face du soleil ou de la lune que le mariage se fit. J’irai faire mon paquet chez madame de Vins, et vous manderai ce que j’aurai appris. Cependant, je vous dirai une nouvelle la plus grande et la plus extraordinaire que vous puissiez apprendre ; c’est que M. le Prince fit faire hier sa barbe ; il était rasé ; ce n’est point une illusion, ni une de ces choses qu’on dit en l’air, c’est une vérité ; toute la cour en fut témoin ; et madame de Langeron prenant son temps qu’il avait les pattes croisées comme le lion, lui fit mettre un justaucorps avec des boutonnières de diamants ; un valet de chambre, abusant aussi de sa patience, le frisa, lui mit de la poudre, et le réduisit enfin à être l’homme de la cour de la meilleure mine, et une tête qui effaçait toutes les perruques : voilà le prodige de la noce. L’habit de M. le prince de Conti était inestimable ; c’était une broderie de diamants fort gros, qui suivait les compartiments d’un velouté noir sur un fond de couleur de paille. On dit que la couleur de paille ne réussissait pas, et que madame de Langeron, qui est l’âme de toute la parure de l’hôtel de Condé, en a été malade. En effet, voilà de ces sortes de choses dont on ne doit point se consoler. M. le Duc, madame la Duchesse et mademoiselle de Bourbon avaient trois habits garnis de pierreries différentes pour les trois jours. Mais j’oubliais le meilleur, c’est que l’épée de M. le Prince était garnie de diamants.

La famosa spada,
AU’ cui valore ogni vitloria è certa.

La doublure du manteau du prince de Conti était de satin noir, piqué de diamants comme de la moucheture. La princesse était romanesquement belle, et parée, et contente.

Qu’il est doux de trouver dans un amant qu’on aime Un époux que l’on doit aimer !


217. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 26 janvier 1680.

Je veux commencer par votre santé ; c’est ce qui me tient uniquement au cœur. C’est sans préjudice de cette continuelle pensée que je vois, que j’entends, et que je prends intérêt à toutes les choses de ce monde : elles sont plus proches ou plus loin de moi,