Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/458

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chambres grillées qui sont dans les tours, où l’on voit à peine le ciel, et défense de voir qui que ce fût. Voilà, ma fille, un grand sujet de réflexion : songez à la fortune brillante d’un tel homme, à l’honneur qu’il avait eu de commander les armées du roi, et représentez-vous ce que ce fut pour lui d’entendre fermer ces gros verroux ; et s’il a dormi par excès d’abattement, pensez au réveil. Personne ne croit qu’il y ait du poison à son affaire. Je vous assure que voilà une sorte de malheur qui en efface bien d’autres.

Madame de Tingry est ajournée pour répondre devant les juges. Pour madame la comtesse de Soissons, elle n’a pu envisager la prison ; on a bien voulu lui donner le temps de s’enfuir, si elle est coupable. Elle jouait à la bassette mercredi : M. de Bouillon entra ; il la pria de passer dans son cabinet, et lui dit qu’il fallait sortir de France, ou aller à la Bastille : elle ne balança point ; elle lit sortir du jeu la marquise d’Alluye ; elles ne parurent plus. L’heure du souper vint ; on dit que madame la comtesse soupait en ville : tout le monde s’en alla, persuadé de quelque chose d’extraordinaire. Cependant on fit beaucoup de paquets, on prit de l’argent, des pierreries ; on fit prendre des justaucorps gris aux laquais et aux cochers ; on fit mettre huit chevaux au carrosse. Elle fit placer auprès d’elle dans le fond la marquise d’Alluye, qu’on dît qui ne voulait pas aller, et deux femmes de chambre sur le devant. Elle dit à ses gens qu’ils ne se missent point en peine d’elle, qu’elle était innocente ; mais que ces coquines de femmes avaient pris plaisir à la nommer : elle pleura ; elle passa chez madame de Carignan, et sortit de Paris à trois heures du matin. On dit qu’elle va à Namur : vous croyez qu’on n’a pas dessein de la suivre. On ne laissera pas de faire son procès, ne fut-ce que pour la justifier : il y a bien des noirceurs dans ce que dit la Voisin. Le duc de Villeroi[1] paraît très-affligé, ou pour mieux dire ne paraît pas ; car il est enfermé dans sa chambre, et ne voit personne. Peut-être vous dirai-je encore quelque nouvelle avant que de fermer cette lettre.

Madame de Vibraye a repris le train de sa dévotion ; Dieu n’a pas voulu qu’elle ait passé sa vie, comme vous dites fort bien, avec ses ennemis. Madame de Buri fait fort joliment tourner son moulin à paroles. Si on voit la Princesse à Paris, madame de Vins désire que j’y aille avec elle. Pomenars a été taillé, vous l’ai-je dit ? Je l’ai vu ; c’est un plaisir que de l’entendre parler sur tous ces poisons :

  1. Il était l’ami intime de la comtesse de Soissons.