Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/474

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parce qu’elle la prenait pour une duchesse ; enfin, cette place est dangereuse, et fait voir que les petites choses font plus de mal que l’étude de la philosophie. La recherche de la vérité n’épuise pas tant une pauvre cervelle que tous les compliments et tous les riens dont celle-là est remplie.

M. de Marsillac a paru un peu sensible à la prospérité de la belle Fontanges ; il n’avait donné jusque-là aucun signe de vie. Madame de Coulanges vient d’arriver de la cour ; j’ai été chez elle exprès avantquede vous écrire : elle est charmée de madame la Dauphine, elle a grand sujet de l’être : cette princesse lui a fait des caresses infinies ; elle la connaissait déjà par ses lettres et par le bien que madame de Maintenon lui en avait dit. Madame de Coulanges a été dans un cabinet où madame là Dauphine se retire l’après-dîner avec ses dames ; elle y a causé très-délicieusement ; on ne peut avoir plus d’esprit et d’intelligence qu’en a cette princesse ; elle se fait adorer de toute la cour : voilà une personne à qui on peut plaire, et avec qui le mérite peut faire un grand effet.


225. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 12 avril 1680.

Vous me parlez de madame la Dauphine ; le chevalier doit vous instruire bien mieux que moi. Il me paraît qu’elle ne s’est point condamnée à être cousue avec la reine : elles ont été à Versailles ensemble ; mais les autres jours elles se promenaient séparément. Le roi va souvent l’après-dîner chez la Dauphine, et il n’y trouve point de presse. Elle tient son cercle depuis huit heures du soir jusqu’à neuf heures et demie : tout le reste est particulier, elle est dans ses cabinets avec ses dames : la princesse de Conti y est presque toujours ; comme elle est encore enfant, elle a grand besoin de cet exemple pour se former. Madame la Dauphine est une merveille d’esprit, de raison et de bonne éducation ; elle parle fort souvent de sa mère avec beaucoup de tendresse, et dit qu’elle lui doit tout son bonheur, par le soin qu’elle a eu de la bien élever : elle apprend à chanter, à danser ; elle lit, elle travaille ; c’est une personne enfin. Il est vrai que j’ai eu la curiosité de la voir ; j’y fus donc avec madame de Chaulnes et madame de Kerman : elle était à sa toilette, elle parlait italien avec M. de Nevers[1]. On nous présenta ;

  1. Philippe Mancini Mazarin, duc de Nevers.