Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/478

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Madame de Dreux[1] sortit hier de prison ; elle fut admonétée, qui est une très-légère peine, avec cinq cents livres d’aumône. Cette pauvre femme a été un an dans une chambre où le jour ne venait que d’un très-petit trou d’en haut, sans nouvelles, sans consolation. Sa mère, qui l’aimait très-passionnément, qui était encore assez jeune et bien faite, et qu’elle aimait aussi, mourut, il y a deux mois, de la douleur de voir sa fille en cet état ; madame de Dreux, à qui on ne l’avait point dit, fut reçue hier à bras ouverts de son mari et de toute sa famille, qui l’allèrent prendre à cette chambre de l’Arsenal. La première parole qu’elle dit, ce fut : Et où est ma mère ? et d’où vient qu’elle n’est pas ici ? M. de Dreux lui dit qu’elle l’attendait chez elle. Elle ne put sentir la joie de sa liberté, et demandait toujours ce qu’avait sa mère, et qu’il fallait qu’elle fût bien malade, puisqu’elle ne venait point l’embrasser. Elle arrive chez elle : Quoi ! je ne vois point ma mère ! Quoi ! je ne l’entends point ! Elle monte avec précipitation ; on ne savait que lui dire : tout le monde pleurait : elle courait dans sa chambre, elle l’appelait ; enfin, un père célestin, son confesseur, parut, et lui dit qu’elle ne> la trouverait point, qu’elle ne la verrait que dans le ciel ; qu’il fallait se résoudre à la volonté de Dieu. Cette pauvre femme s’évanouit, et ne revint que pour faire des plaintes et des cris qui faisaient fendre le cœur, disant que c’était elle qui l’avait tuée ; qu’elle voudrait être morte en prison ; qu’elle ne pouvait rien sentir que la perte d’une si bonne mère. Le petit Coulanges était présent à ce spectacle ; il avait couru chez M. de Dreux, comme beaucoup d’autres, et il nous conta tout ceci, hier au soir, si naturellement et si touché lui-même, que madame de Coulanges en eût les yeux rouges, et moi j’en pleurai sans pouvoir m’en empêcher. Que dites-vous de cette amertume, qui vient troubler sa joie et son triomphe, et les embrassements de toute sa famille et de tous ses amis ? Elle est encore aujourd’hui dans des pleurs que M. de Richelieu ne peut essuyer ; il a fait des merveilles dans toute cette affaire. Je me suis jetée insensiblement dans ce détail, que vous comprendrez mieux qu’une autre, et dont tout le monde est touché. On croit que M. de Luxembourg sera tout aussi bien traité que madame de Dreux ; car même il y avait des juges qui étaient d’avis de la renvoyer sans être admonétée ; et c’est une chose terrible que le scandale qu’on a fait,1

  1. Impliquée dans l’affaire des poisons.