Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/479

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sans pouvoir convaincre les accusés : cela marque aussi l’intégrité des juges.

Le discours de votre prédicateur nous a paru admirable. Le Bourdaloue prêcha, comme un ange du ciel, l’année passée et celle-ci, car c’est le même sermon. Ce que vous m’avez mandé de ce monde, qui paraîtrait un autre monde si l’on voyait le dessous des cartes de toutes les maisons, est quelque chose de bien plaisant et de bien véritable. Eh, bon Dieu ! que savons-nous si le cœur de cette princesse dont nous disons tant de bien est parfaitement content ? elle a paru triste trois ou quatre jours ; que sait-on ? elle voudrait être grosse, elle ne l’est pas encore ; elle voudrait peut-être voir Paris et Saint-Cloud ; elle n’y a point encore été : elle est complaisante, et ne songe qu’à plaire ; que sait-on si cela ne lui coûte rien ? que sait-on si elle aime également les dames qui ont l’honneur d’être auprès d’elle ? que sait-on enfin si une vie si retirée ne l’ennuie point ? Je suis à cet endroit, lorsque je reçois dans ce moment votre aimable et triste lettre du 24 ; vraiment, ma très-chère, elle me touche sensiblement.

Je ne suis point encore partie, c’est le mauvais temps qui m’a arrêtée ; c’eut été une folie de s’exposer, tout était déchaîné. Je vous écrirai encore vendredi de Paris, et vous parlerai du petit bâtiment ; j’y donne mon avis la première, et je ne suis pas si sotte que vous pensez, quand il est question de vous. Il y a des histoires qui nous content de plus grands miracles ; et pourquoi certaines amitiés cèderaient-elles à l’autre ; ainsi je deviens architecte. Je vous admire sur tout ce que vous dites de la dévotion : eh, mon Dieu ! il est vrai que nous sommes des Tantales, nous avons l’eau tout auprès de nos lèvres, nous ne saurions boire. Un cœur de glace, un esprit éclairé, c’est cela même. Je n’ai que faire de savoir la querelle des jansénistes et des molinistes pour décider ; il me suffit de ce que je sens en moi ; le moyen d’en douter dès le moment que l’on s’observe un peu ? Je parlerais longtemps là-dessus, et j’en eusse été ravie, quand nous étions ensemble : mais vous coupiez court, et je reprenais tout aussitôt le silence ; Corbinelli en avait l’endosse, car j’aime ces vérités. Il vient d’entendre par hasard un sermon de l’abbé Fléchier[1], à la vêture d’une capucine dont il est charmé. C’était sur la liberté des enfants de Dieu, que le prédicateur a ex

  1. Esprit Fléchier, nommé à l’évêché de Lavaur eu 1685, et transféré à celui de Nimes en 1687.