Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/48

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lieutenant pour le roi en Languedoc, et puis après en Provence. Ce ne fut pas le plus grand bien qu’elle fit à Françoise de Sévigné : la bonne nourriture[1] qu’elle lui donna, et son exemple, sont des trésors que les rois même ne peuvent pas toujours donner à leurs enfants. Elle en avait fait aussi quelque chose de si extraordinaire, que moi, qui ne suis point du tout flatteur, je ne me pouvais lasser de l’admirer, et que je ne la nommais plus, quand j’en parlais, que la plus jolie fille de France, croyant qu’à cela tout le monde la devait connaître[2].

Marie de Rabutin acheta encore à son fils la charge de guidon des gendarmes de M. le Dauphin [3] ; ce qu’elle fit habilement, n’y ayant rien de mieux pensé que d’attacher de bonne heure ses enfants auprès d’un jeune prince, qui a toujours plus d’égards un jour pour ses premiers serviteurs que pour les autres.

Les soins que Marie de Rabutin avait pris de sa maison n’y avaient pas seuls mis tout le bon ordre qui y était : il faut rendre honneur à qui il est dû. L’abbé de Coulanges, son oncle, homme d’esprit et de mérite, l’avait fort aidée à cela.

Qui voudrait ramasser toutes les choses que Marie de Rabutin a dites en sa vie, d’un tour fin, agréable, naturellement, et sans affecter de les dire, il n’aurait jamais fait. Elle avait la vivacité et l’enjouement de son père, mais beaucoup plus poli. On ne s’ennuyait jamais avec elle ; enfin elle était de ces gens qui ne devraient jamais mourir, comme il y en a d’autres qui ne devraient jamais naître.

Voici un éloge que la seule justice me fit mettre au-dessous d’un de ses portraits :

MARIE DE RABUTIN,

MARQUISE DE SÉVIGNÉ,

FILLE DU BARON DE CHANTAL,

FEMME D’UN GÉNIE EXTRAORDINAIRE

ET D’UNE SOLIDE VERTU,

COMPATIBLES AVEC BEAUCOUP D’AGRÉMENTS[4].

  1. Éducation. Ce mot a vieilli, et ne s’emploie plus dans ce sens.
  2. On voit par ce passage que c’était le comte de Bussy qui avait désigné ainsi Mme de Sévigné. Le mot de joli avait alors plutôt la signification de charmant que celle de beau. « Nos Français sont si aimables et si jolis » dit madame de Sévigné, lettre du 28 mars 1676.
  3. Cette partie de la généalogie aura sans doute été composée avant l’année 1677, époque à laquelle M. de Sévigné acheta du marquis de la Fare la charge de sous-lieutenant des gendarmes de M. le Dauphin.
  4. Cette inscription était placée au-dessous du portrait de madame de Sévigné, qui était dans le salon de M. de Bussy-Rabutin.