Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/487

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dire, que nos volontés sont les exécutrices de ses décrets éternels. Je voudrais bien causer avec quelqu’un ; je viens d’un lieu où l’on est assez accoutumé à discourir : nous parlons, l’abbé et moi, mais ce n’est pas d’une manière qui puisse nous divertir : nous passons tous les ponts avec un plaisir qui nous les fait souhaiter : il n’y a pas beaucoup d’ex voto pour les naufrages de la Loire, non plus que pour la Durance : il y aurait plus de raison de craindre cette dernière, qui est folle, que notre Loire, qui est sage et majestueuse. Enfin, nous sommes arrivés ici de bonne heure ; chacun tourne, chacun se rase, et moi j’écris romanesquement sur le bord de la rivière où est située notre hôtellerie ; c’est la Galère, vous y avez été.

J’ai entendu mille rossignols ; j’ai pensé à ceux que vous entendez sur votre balcon. Je n’ose vous dire la tristesse que l’idée de votre délicate santé a jetée sur toutes mes pensées ; vous le comprenez bien, et à quel point je souhaite qu’elle se rétablisse : si vous m’aimez, vous y mettrez vos soins et votre application, afin de me témoigner la véritable amitié que vous avez pour moi. Cet endroit est une pierre de touche. Bonsoir, ma très-chère ; adieu jusqu’à demain à Tours.


230. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Nantes, vendredi 17 mai 1680.

Je vous assure, ma fille, qu’il m’ennuie ici. M. de Molac, ni les madames qui me font tant d’honnêtetés, ne me consolent point de n’être pas dans mes bois ; car je ne pense pas encore à Paris. Ce sont donc les Rochers que je respire, c’est mon Rochecourbière[1] ; c’est d’être dans de belles allées, et non pas dans une fausse représentation d’une société qui n’a rien d’agréable pour moi. Ma consolation, c’est d’être à mes Filles de Sainte-Marie ; elles sont aimables ; elles ont conservé une idée de vous, dont elles me font leur cour : elles ne sont point folles, ni prévenues, comme celles que vous connaissez ; elles ne croient point le pape d’aujourd’hui {Innocent XI)[2] hérétique ; elles savent leur religion ; elles ne jetteront point par terre l’Écriture sainte, parce qu’elle est traduite par les plus

  1. Grotte fort agréable, où on allait se reposer dans les parties de promenades qu’on faisait à Grignan.
  2. Les jansénistes prétendaient que le pape Innocent XI était favorable à leur doctrine.