Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/488

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honnêtes gens du monde ; elles font honneur à la grâce de Jésus-Christ ; elles connaissent la Providence ; elles élèvent fort bien leurs petites filles ; elles ne leur apprennent point à mentir, ni à dissimuler leurs sentiments ; point de coquesigrues ni d’idolâtrie : enfin, je les aime. M. de Grignan les croira jansénistes, et moi je pense qu’elles sont chrétiennes ; il y en a deux qui ont bien de l’esprit. J’irai demain écrire dans cette maison, j’y dînerai dimanche : encore une fois, c’est ma consolation. Je commence dès aujourd’hui cette lettre, parce que l’on reçoit les lettres à dix heures du matin, et que la poste repart à six heures du soir ; cela est fort juste : et puis je m’en vais vous dire une chose plaisante, c’est que la première fois que je lis vos lettres je suis si émue, que je ne vois pas la moitié de ce qui est dedans ; en les relisant plus à loisir, je trouve mille choses sur quoi je veux parler : la première qui me revient, c’est votre Carthage[1] ; laissez-nous faire, je vous prie, nous l’achèverons plus tôt que la pauvre Didon n’acheva la sienne : cette comparaison m’a charmée. Je suis ici dans l’embarras d’achever un grand compte de dix-neuf années que mon fils n’avait fait qu’ébaucher. On veut me faire passer des lettres que j’ai écrites pour des quittances ; c’est une pitié de voir les subtilités où dix mille francs de reste jettent un mauvais payeur. Nous allons tout arrêter : nous aspirons à de certains lods et ventes d’une terre qui relève de nous ; nous voulons deux mille francs tout à l’heure : nous avons bien des gens qui nous conseillent ; tout ce qui me fâche, c’est de faire du mal : mais quand je joue à noyer, et que je me demande lequel je noie de M. de la Jarie ou de moi, je dis sans balancer que c’est M. de la Jarie, et cela me donne du courage. Voilà, ma pauvre enfant, les nouvelles dont je puis remplir mes lettres ; quand je songe combien les détails de cette nature, qui sont dans les vôtres, me touchent sensiblement, je m’imagine que vous êtes de même pour moi, et je ne crois pas que vous vouliez que je mette votre amitié à plus haut prix. La vie est ici à fort bon marché : si c’était la même chose à Aix, vous n’auriez pas tant dépensé l’hiver dernier ; c’est encore une belle circonstance que tout y soit comme à Paris : voilà une heureuse ressemblance. Vous avez raison de trouver plaisant qu’en blâmant l’excès de votre dépense, on trouve à dire à la frugalité de vos repas ; vous avez très-bien fait

  1. L’appartement de madame de Grignan, à l’hôtel de Carnavalet.