Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/491

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Le confesseur qui la gouverne la fait communier deux fois la semaine : bon Dieu, quelle profanation ! elle est de tous les plaisirs quand elle peut en être, et du moins elle le désire toujours, et c’est assez pour n’être pas dans un usage si familier. Elle a lu tout ce qu’elle a pu attraper de romans, avec tout legoût quedonne la difficulté et le plaisir de tromper. Vraiment, si je voulais rendre une fille galante, je ne lui souhaiterais qu’une mère et un confesseur comme elle en a. Ma fille, je vous parle de Nantes, en attendant les lettres de Paris. Il y a ici une espèce d’intendante, qui ne l’est point pourtant ; c’est madame deNointel. Elle est fille de madame deBr...., elle a dix-sept ans, et fait la sotte et l’entendue. Son mari est de la vraie maison de Be..., il n’est pas ici : sa femme fait la belle, et croit que c’est mon devoir de l’aller voir ; je n’ai pas bien compris pourquoi ; et en attendant qu’elle me montre par où, je m’en vais aux Rochers : cela serait bon pour madame de Molac, ce n’est pas une difficulté : elle est à Paris, son mari[1] l’est allé trouver.

Voilà vos lettres du 15 de ce mois infini, car il est vrai que je n’en ai jamais trouvé un pareil. Vous avez reçu toutes les miennes : je vous conjure de n’être point en peine si vous n’en recevez pas ; vous voyez bien que cela dépend de l’arrangement de certains moments de la poste qui peuvent très-souvent manquer ; jusqu’ici je n’ai pas sujet de m’en plaindre, je ne reçois vos lettres que deux jours plus tard qu’à Paris : c’est tout ce qu’on peut ménager sur une distance aussi extrême que celle-ci. Vous dites que je n’en suis point touchée ; cela est d’une personne qui est encore plus loin de moi que je ne pensais, qui m’a tout à fait oubliée, qui ne sait plus la mesure de mon attachement, ni la tendresse de mon cœur, qui ne connaît plus cette faiblesse naturelle, ni cette disposition aux larmes dont votre fermeté et votre philosophie se sont si souvent moquées. C’est à moi à me plaindre : je ne suis que trop pénétrée de tout cela ; et, avec toute ma belle Providence que je comprends si bien, je ne laisse pas d’être toujours affligée de ces arrangements au delà de toute raison. Une paix entière, une soumission sans murmure est le partage des parfaits, tandis que la connaissance de cette Providence, et du mauvais usage que j’en fais, ne m’est donnée que pour ma peine et pour ma pénitence. Vous dites qu’on veut que Dieu soit l’auteur de tout ce qui arrive : lisez, lisez ce Traité

  1. M. de Molac était gouverneur des ville et château de Nantes.