Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/492

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que je vous ai marqué, et vous verrez qu’eu effet c’est à Dieu qu’il faut s’en prendre, mais avec respect et résignation ; et les hommes sur qui nous arrêtons notre vue, il faut les considérer comme les exécuteurs de ses ordres, dont il saitbien tirer la fin qu’il lui plaît. C’est ainsi qu’on raisonne quand on lève les yeux ; mais ordinairement on s’en tient aux pauvres petites causes secondes, et l’on souffre avec bien de l’impatience ce qu’on devrait recevoir avec soumission : voilà le misérable état où je suis : c’est pour cela que vous m’avez vue me repentir, m’agiter et m’inquiéter tout de même qu’une autre. Je pense comme vous que toutes les philosophies ne sont bonnes que quand on n’en a que faire. Vous me priez de vous aimer davantage et toujours davantage ; en vérité, vous m’embarrassez, je ne sais point où l’on prend ce degré-là ; il est au-dessus de mes connaissances : mais ce qui est bien à ma portée, c’est de ne vous être bonne à rien, c’est de ne faire aucun usage qui vous soit utile de la tendresse que j’ai pour vous, c’est de n’avoir aucun de ces tons si désirés d’une mère, qui peut retenir, qui peut soulager, qui peut soutenir. Ah ! voilà ce qui me désespère, et qui ne s’accorde point du tout avec ce que je voudrais.


232. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Nantes, lundi au soir 27 mai IC80.

Je vous écris ce soir, parce que, Dieu merci, je m’en vais demain dès le grand matin, et même je n’attendrai pas vos lettres pour y faire réponse : je laisse un homme à cheval pour me les apporter à la dînée, et je laisse ici cette lettre qui partira ce soir, afin qu’autant que je le puis, il n’y ait rien de déréglé dans notre com- ’ merce. J’écris aujourd’hui comme Arlequin, qui répond avant que d’avoir reçu la lettre.

Je fus hier au Buron, j’en revins le soir ; je pensai pleurer en voyant la dégradation de cette terre : il y avait les plus vieux bois du monde ; mon fils, dans son dernier voyage, y a fait donner les derniers coups de cognée. Il a encore voulu vendre un petit bouquet qui faisait une assez grande beauté ; tout cela est pitoyable : il en a rapporté quatre cents pistoles, dont il n’eut pas un sou un mois après. Il est impossible de comprendre ce qu’il fait, ni ce que sou voyage de Bretagne lui a coûté, quoiqu’il eût renvoyé ses laquais et son cocher à Paris, et qu’il n’eût que le seul Larmechin dans cette ville, où il fut deux mois. Il trouve l’invention de dépen-