Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/496

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dans l’eau du Rhône ne peut venir que d’une personne bien échauffée ; je vous conseille au moins, ma chère enfant, de consulter un auteur fort grave, pour établir Y opinion probable que le bain soit bon à la poitrine. Je fus témoin du mal visible que vous firent les demi-bains ; c’était pourtant de l’avis de Fagon. Vous avez eu besoin d’avoir de la force pour soutenir l’excès de monde que vous avez eu : vingt personnes d’extraordinaire à table font mal à l’imagination. Voilà ce que Corbinelli appelait des trains qui arrivaient ; il se trouvait pressé dans la galerie, et ne saluait ni ne connaissait personne : en vérité, votre hôtellerie est toute des plus fréquentées ; c’est un beau débris que celui qui se fait dans ces occasions. Vous souvient-il, ma fille, quand nous avions ici tous ces Fouesnels, et que nous attendions avec tant d’impatience l’heureux et précieux moment de leur départ ? quel adieu gai nous leur faisions intérieurement ! quelle crainte qu’ils ne cédassent aux fausses prières que nous leur faisions de demeurer ! quelle douceur et quelle joie quand nous en étions délivrés ! et comme nous trouvions qu’une mauvaise compagnie était bien meilleure qu’une bonne, qui vous laisse affligée quand elle part ; au lieu que l’autre vous rafraîchit le sang, et vous fait respirer d’aise ! Vous avez senti ce délicieux état. Je vous gronderais de m’avoir écrit une si grande lettre de votre écriture, sans que j’ai compris que cela vous était encore moins mauvais que de soutenir la conversation. Celle de M. de Louvois[1] avec M. de Vardes a fait du bruit : on me la mande de Paris, et qu’il quitta les Grignanet les Montanègre pour cet exilé. On croit qu’il y a quelque ambassade en campagne, dont ses enfants sont fort effrayés par la crainte de la dépense. Je vois pourtant que M. de Grignan a été fort bien traité de ce ministre ; ce voyage ne pouvait pas s’éviter : il a encore plus coûté à Montanègre[2]. Je trouve bien honnête et bien noble de ne point avoir paru fâché de son dîner perdu ; je ne sais comment on peut donner de ces sortes de mortifications à des gens qui jettent de l’argent, et qui se mettent en pièces pour vous faire honneur.

Madame de Coulanges me mande que madame de Maintenon a perdu une canne contre M. le Dauphin ; c’est madame de Coulanges

  1. M. de Louvois avait passe en Provence, allant négocier et signer le traité par lequel le duc de Mantoue céda Casal à la France.
  2. M. de Montanègre commandait en Languedoc, comme M. de Griguan en Provence.