Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/509

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bonne compagnie. La Fare joue à la bassette : voiià la fin de cette grande affaire qui attirait l’attention de tout le monde, voilà la route que Dieu avait marquée à cette jolie femme ; elle n’a point dit, les bras croisés, J’attends la grâce : mon Dieu, que ce discours me fatigue ! hé ! mort de ma vie, la grâce saura bien vous préparer les chemins, les tours, les détours, les bassettes, les laideurs, l’orgueil, les chagrins, les malheurs, les grandeurs ; tout sert, tout est mis en œuvre par ce grand ouvrier, qui fait toujours infailliblement tout ce qu’il lui plaît. Comme j’espère que vous ne ferez pas imprimer mes lettres, je ne me servirai point de la ruse de nos frères pour les faire passer. Ma fille, cette lettre devient infinie ; c’est un torrent retenu que je ne puis arrêter ; répondez-y trois mots ; conservez-vous, reposez-vous ; et que je puisse vous revoir et vous embrasser de tout mon cœur, c’est le but de mes désirs. Je ne comprends pas le changement de goût pour l’amitié solide, sage et bien fondée ; mais pour l’amour, ah ! oui, c’est une fièvre trop violente pour durer. Adieu, ma très-chère et très-loyale, j’aime fort ce mot : ne vous ai-je point donné du cordialement[1] ? nous épuisons tous les mots. Je vous parlerai une autre fois de votre hérésie.


238. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 29 septembre I«8o.

C’est une république, c’est un monde que. votre château ; je n’y ai jamais vu cette foule. Montgobert me parle de quintille, je ne sais ce que c’est ; mais quoique nous soyons dans une solitude en comparaison, nous ne laissons pas d’avoir fort souvent trois tables de jeu, un trictrac, un nombre, un reversi. Nous avons présentement madame de Marbeuf, qui est bonne à tout ; elle est commode et complaisante. La princesse éclaire ces bois comme la nymphe Galatée ; elle est en deuil de son beau-frère, l’électeur palatin ; il faudrait que toute l’Europe se portât fort bien pour qu’elle ne fût pas sujette à perdre ses parents. Nous avons des gens de Vitré que vous ne connaissez non plus que la Solitaire[2] ; enfin je ne sais comme tout cela va, mais je sais bien que je n’en souhaite pas davantage, et que je voudrais avoir plus de temps pour lire et pour me prome

  1. Mot que madame de Chantal affectionnait, et qui, de son temps, n’était pas encore généralement admis dans notre langue.
  2. Nom d’une nouvelle allée du parc des Rochers.