Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/510

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ner. La Solitaire est justement où vous dites ; mais elle est si droite et si bien plantée, qu’elle vous surprendrait. Il est temps cependant que je prenne d’autres pensées. Quand je songe qu’au bout de mon voyage je vous retrouverai, cela me paraît si heureux, que j’ai peur qu’il n’arrive quelque dérangement. La fièvre du chevalier n’a-telle pas été la plus désobligeante du monde ? J’ai senti le chagrin que vous en auriez. Il m’écrit qu’il sera bientôt en état de partir, et qu’il a été guéri, et M. d’Évreux aussi, par notre Anglais : son remède a fait des merveilles cette année ; M. de Lesdiguières en a été guéri comme par miracle, et mille autres. Je mande au chevalier que je me réjouis d’autant plus de sa santé, que je trouve ce voyage nécessaire pour lui. Je suis persuadée que tout se rangera, aussi bien que vos compagnies de Grignan, qui me paraissent comme dans ce tour de jetons où l’on donne à un roi neuf gardes de chaque côté ; on fait sortir quatre gardes, il en a toujours neuf ; on en fait entrer quatre, il en a toujours neuf. Vous voilà justement : tout est plein quand vous n’êtes que vous, tout est logé quand il y en a trois fois autant. Dieu conserve chez vous, ma chère enfant, cette grâce de multiplication si nécessaire aux dépenses excessives et aux revenus bornés.

Je suis étonnée que vous ne sachiez encore rien de M. de Vendôme ni d’un intendant ; cela viendra tout d’un coup. Ce que je vous mandais de cet échange de la charge de votre frère était une pensée de madame de la Fayette, lorsque nous songions à nous tirer d’affaite par M. de Lou vois ; car il est certain que c’est toujours par quelque changement que l’on entre en propos avec ce ministre ; mais c’est l’extrémité que d’en venir là : il faut essayer premièrement de se défaire de la charge, et de consulter nos amis.

J’espère que nous arriverons tous à Paris, où nous parlerons de toutes choses. Mettez-vous seulement en état de marcher sans incommodité : voilà ce que vous devez faire avec plus de soin qu’à l’ordinaire. Je ne sais quand on dansera ce ballet[1] ; vraiment ce sera une belle pièce ; vous croyez bien que pour moi je dirai, Ce n’est pas là un ballet comme celui où dansait ma fille ; il y avait telle et telle : elle y faisait un petit pas admirable sur le bord du théâtre, et là-dessus je conterai tout le ballet. Mais vous-même, ma belle, je crois que, sans radoterie, vous pourrez dire qu’il ne fait point souvenir du vôtre, et qu’il y avait quatre personnes avec

  1. Le ballet du Triomphe de l’Amour, de Quinault.