Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/512

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de monde me paraît, quoi que vous disiez, un fleuve qui entraîne tout. Enfin, ma fille, je n’ose pensera ce tourbillon, et il me semble que vous allez vous reposer ici : attendez du moins que vous ayez confronté les dépenses pour envisager votre retour ; il est question d’arriver, c’est ce que je souhaite de tout mon cœur. Mademoiselle de Méri est fixée ; elle s’arrangera tout à loisir, rien ne la presse ; elle voit bien que je suis plus aise qu’elle soit ici, quand elle y peut être, que de l’aller chercher plus loin ; c’était pour la faire décider que je vous en écrivais ; car quand on ne peut se résoudre, la vie se passe à ne point faire ce qu’on veut. Elle est bien mieux qu’elle n’était, elle parle ; elle est capable d’écouter ; nous causons ; fort tous les soirs. Ah ! mon enfant, qu’il est aisé de vivre avec moi ! qu’un peu de douceur, d’espèce de société, de confiance même superficielle, que toutcela me mène loin ! Je crois, en vérité, que personne n’a plus de facilité que moi dans le commerce de la vie civile : je voudrais que vous vissiez comme cela va bien quand notre cousine veut : elle me témoigna l’autre jour qu’elle savait en gros les malheurs de mon fils, et qu’elle eût bien voulu en savoir davantage : je me tins obligée de cette curiosité, et je lui contai tout le détail de nos misères, ainsi que de plusieurs autres choses ; voilà ce qui s’appelle vivre avec les vivants : mais quand on ne peut jamais rien dire qui ne soit repoussé durement ; quand on croit avoir pris les tours les plus gracieux, et que toujours ce n’est pas cela, c’est tout le contraire ; qu’on trouve toutes les portes "fermées sur tous les chapitres qu’on pourrait traiter ; que les choses les plus répandues se tournent en mystère ; qu’une chose avérée est une médisance et une injustice ; que la défiance, l’aigreur et l’aversion sont visibles et sont mêlées dans toutes les paroles ; en vérité cela serre le cœur, | et franchement cela déplaît un peu. On n’est point accoutumée à g ces chemins raboteux ; et quand ce ne serait que pour vous avoir enfantée, on devrait espérer un traitement plus doux. Cependant, mafille, j’ai souvent éprouvé ces manières si peu honnêtes ; ce qui fait que je vous en parle, c’est que cela est changé, et que j’en sens la douceur ; si ce retour pouvait durer, je vous jure que j’en aurais une joie sensible, mais je vous dis sensible ; il faut me croire quand je parle, je ne parle pas toujours. Ce n’a point été un raccommodement, c’est un radoucissement de sang, entretenu par des conversations douces et assez sincères, et point comme si on revenait toujours d’Allemagne. Enfin je suis contente, et je vous assure qu’il