Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/533

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viez insensiblement dans leurs intérêts. Si les états eussent été à Saint-Brieuc, c’eut été un dégoût épouvantable : il faut voir qui sera le commissaire ; ils ont encore ce choix à essuyer : si vous êtes dans leur confiance, ils ont bien des choses à vous dire ; rien n’est égal à l’agitation qu’ils ont eue depuis quelque temps.

Ma bonne, voyez un peu comme s’habillent les hommes pour l’été ; je vous prierai de m’en voyer d’une étoffe jolie pour votre frère, qui vous conjure de le mettre du bel air sans dépense, savoir comme on porte les manches, choisir aussi une garniture, et d’envoyer le tout pour recevoir nos gouverneurs. Je vous prie encore de consulter madame de Chaulnes pour l’habit d’été qu’il me faut pour l’aller voir à Rennes ; car pour les états, je vous en remercie. Je reviendrai ici commencer à faire mes paquets pour me préparer à la grande fête de vous revoir et de vous embrasser mille fois. Madame de Chaulnes en sera bien d’accord. J’ai un habit de taffetas brun piqué avec des campanes d’argent un peu relevées aux manches et au bas de la jupe ; mais je crois que ce n’est plus la mode, et il ne se faut pas jouer à être ridicule à Rennes, où tout est magnifique. Je serai ravie d’être habillée dans votre goût, ayant toujours pourtant l’économie et la modestie devant les yeux. Vous saurez mieux que moi quand il faudra cet habit, puisque vous serez informée du départ des Chaulnes, et je courrai à Rennes pour les voir ; tous les ingrats qu’ils ont faits en ce pays me font horreur, et je ne voudrais pas leur ressembler.

On nous mande, (ceci est fuor di proposito) que les minimes de votre province ont dédié une thèse au roi, où ils le comparent à Dieu, mais d’une manière qu’on voit clairement que Dieu n’est que la copie. On l’a montrée à M. de Meaux, qui l’a portée au roi, disant que Sa Majesté ne la doit pas souffrir. Le roi a été de cet avis : on a renvoyé la thèse en Sorbonne pour juger ; la Sorbonne a décidé qu’il fallait la supprimer. Trop est trop. Je n’eusse jamais soupçonné des minimes d’en venir à cette extrémité. J’aime à vous mander des nouvelles de Versailles et de Paris ; ignorante !

Vous conservez une approbation romanesque pour les princes de Conti[1] ; pour moi, qui ne l’ai plus, je les blâme de quitter un tel beau-père, de ne pas se fier à lui pour leur faire voir assez

  1. Les princes de Conti et de la Roche-sur-Yon étaient partis pour aller servir en Hongrie, où ils se trouvèrent au combat de Gran, et firent des prodiges de valeur.