Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/541

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dommager par des louanges que je ne crois pas mériter[1], non plus que ses blâmes[2]. Il passe gaillardement sur mon fils, et le laisse inhumainement guidon dans la postérité ; il pouvait dire plus de bien de sa femme, qui est d’un des beaux noms delà province : mais, en vérité, mon fils l’a si peu ménagé, et l’a toujours traité si incivilement, que lui ayant rendu justice sur sa maison, il pouvait bien se dispenser du reste : vous en avez mieux usé, et il vous le rend.

Votre frère ne pense pas à quitter sa maison ; ses affaires ne lui permettent point de songer à Paris de quelques années : il est dans la fantaisie de payer toutes ses dettes ; et comme il n’a point de fonds extraordinaires pour cela, ce n’est que peu à peu sur ses revenus : cela n’est pas sitôt fait. Quant à moi, je n’aspire point à tout payer ; mais j’attends un fermier qui me doit onze mille francs, et que je n’ai pu encore envisager ; et rien ne m’arrêtera pour être fidèle au temps que je vous ai promis, n’ayant pas moins d’impatience que vous de voir la fin d’une si triste et si cruelle absence. Il faut pourtant rendre justice à l’air des Rochers ; il est parfaitement bon, ni haut, ni bas, ni approchant de la mer ; ce n’est point la Bretagne, c’est l’Anjou, c’est le Maine à deux lieues d’ici. Ce n’était pas une affaire de me guérir, si Dieu avait voulu que j’eusse été bien traitée.

Je ne souhaite nulle prospérité à M. de Montmouth, sa révolte me déplaît ; ainsi puissent périr tous les infidèles à leur roi ![3]


255. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

À Paris, ce 14 mai 1686.

Il est vrai que j’eusse été ravie de me faire tirer trois palettes de sang du bras de ma nièce de Montataire ; elle me l’offrit de fort bonne grâce ; et je suis assurée que pourvu qu’une Marie Rabutin

  1. Voyez le Portrait de madame de Sévigné, qui contient aussi, l’éloge de madame de Grignan.
  2. La Diatribe insérée dans les Amours des Gaules.
  3. Le duc de Montmouth, fils naturel de Charles II et de Lucy Walters, fut décapité le 25 juillet, trois jours après la date de cette lettre. D’un caractère remuant et inquiet, il avait conspiré contre le roi son père, qui lui pardonna. À peine Jacques II fut-il monté sur le trône, qu’il s’embarqua pour l’Angleterre avec quelques mécontents. Il s’annonça comme le fils légitime du feu roi, se fit couronner, et promit de soutenir la religion anglicane. Mais il fut vaincu par les troupes du roi Jacques, et fait prisonnier.