Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/540

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vous verrez madame de Chaulnes, cela vous divertira ; vous avez besoin de vous réjouir un peu, et de quitter votre chambre, où vous m’avez accordé huit jours de résidence. » Voilà où j’en suis : elle m’ôte mes roses, qui m’ont fait tout le bien qu’on leur demandait ; elle me donne une légère petite espèce de pommade qui dessèche, elle me prie de bander ma jambe sans contrainte d’ici a quelques jours, et de me ménager un peu ; elle m’assure qu’avec cette conduite je vous rapporterai une jambe à la Sévigné, que vous aimerez d’autant plus que, l’une et l’autre étant moins grasses, elles visent à la perfection : en tout cas, j’ai ma Charlotte à une lieue d’ici : en voilà trop, ma chère enfant. Une de mes joies en retournant à Paris, ce sera de ne plus parler de moi, ni d’aucun de mes maux ; j’étais dans la même envie quand j’y retournai après mon rhumatisme ; mais s’il y a de l’excès à l’immensité de cet article, il est fondé sur l’excès de votre bonne et tendre amitié, qui ne sera point ennuyée de ces détails : je vous connais ; car avec les autres qui n’ont point de ces fonds adorables, je sais couper court, et je n’ai pas oublié comme il faut parler sobrement de soi, et presque à son corps défendant.

Or sus, verbalisons : voilà donc le bon homme Polignac[1] arrivé : pour moi, je jette de loin ces paroles en l’air : puisque mademoiselle de Grignan balance, mademoiselle d’Alerac peut-elle balancer ? Je passe ensuite à rejeter tout le mal que vous dites de votre esprit et de votre corps ; ni l’un ni l’autre ne sauraient être épais comme vous les représentez : je les ai vus trop subtils, trop diaphanes, pour pouvoir jamais être fâchée de les voir dans le train commun des esprits et des corps : mais quedis-je, commun ? ô plume étourdie et téméraire ! c’est vous qu’il faudrait écraser, plutôt que celle que le coadjuteur outragea si injustement àLivry. Jamais le mot de commun ne sera fait pour vous ; rien de commun, ni dans l’âme ni dans le corps ; je reprends donc ce mot pour l’employer à tout le reste du monde qui n’en mérite point d’autre ; je fais pourtant des exceptions, mais guère.

J’avoue ma faiblesse ; j’ai lu avec plaisir l’histoire de notre vieille chevalerie : si Bussy avait un peu moins parlé de lui et de son héroïne de fille (madame de Coligny), le reste étant vrai, on peut le trouver assez bon pour être jeté dans un fond de cabinet, sans en être plus glorieuse. Il vous traite fort bien : il me veut trop dé

  1. Louis-Armand, vicomte de Polignac.