Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/556

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n’y pensez plus. Ma vie, vous la savez : souvent, souvent dans cette petite chambre de là-bas, où je suis comme destinée ; je tâche pourtant de ne point abuser ni incommoder ; il me semble qu’on est bien aise de m’y voir. Nous parlons sans cesse de vous, de votre fils, de vos affaires. Je vais chez mesdames delà Fayette et de Lavardin ; tout cela me parle encore de vous, et vous aime, et vous estime : un autre jour chez madame de Mouci ; hier chez la marquise d’Uxelles. Il n’y a personne à Paris ; on revient le soir, on se couche ; on se lève ; ainsi la vie se passe vite, parce que le temps passe de même. Mademoiselle de Méri se trouve bien de nous, et nous d’elle. Nous avons l’abbé Bigorre, c’est le plus commode et le plus aimable de tous les hôtes. Corbinelli est en Normandie avec le lieutenant civil (M. le Camus), jusqu’à la Saint-Martin. Vous ai-je dit que nous allâmes nous promener l’autre jour au bois de Vincennes, le chevalier et moi ? Nous causâmes fort : je me promenai longtemps, mais tout cela tristement ; je n’ai pas besoin de vous dire pourquoi.

« Du même jour.

Ma lettre est cachetée, et je reçois, ma chère enfant, la vôtre du bateau au delà de Mâcon. Tout ce que vous me dites de votre amitié est un charme pour moi : si je ne sentais bien de quelle manière je vous aime, je serais honteuse, et quasi persuadée que vous en savez plus que moi sur ce chapitre. Vous pouvez vous assurer que je ne quitterai Paris, ni pendant le siège de Philisbourg, ni pendant que le chevalier sera ici ; je me trouve fort naturellement attachée à ces deux choses. Ne craignez point, au reste, que je sois assez sotte pour me laisser mourir de faim : on mange son avoine tristement, mais enfin on la mange. Pour votre idée, elle brille encore et règne partout ; jamais une personne n’a si bien rempli les lieux où elle est, et jamais on n’a si bien profité du bonheur de loger avec vous que j’en ai profité, ce me semble ; nos matinées n’étaientelles pas trop aimables ? Nous avions été deux heures ensemble, avant que les autres femmes soient éveillées ; je n’ai rien à me reprocher là-dessus, ni d’avoir perdu le temps et l’occasion d’être avec vous ; j’en étais avare, et jamais je ne suis sortie qu’avec l’envie de revenir ; ni jamais revenue, sans avoir d’avance une joie sensible de vous retrouver et de passer la soirée avec vous. Je demande pardon à Dieu de tant de faiblesses ; c’est pour lui qu’il faudrait être ainsi. Vos moralités sont très-bonnes et trop vraies.