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des logis : pour le capitaine, il est encore jeune, mais j’en réponds. Adieu, madame ; permettez-moi de vous baiser les deux mains bien respectueusement.


272. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 10 décembre 1688.

Je ne réponds à rien aujourd’hui ; car vos lettres ne viennent que fort tard, et c’est le lundi que je réponds à deux. Le marquis est un peu cru, mais ce n’est pas assez pour se récrier : sa taille ne sera point comme celle de son père, il n’y faut pas penser ; du reste, il est fort joli, répondant bien à tout ce qu’on lui demande, et comme un homme de bon sens, et comme ayant regardé et voulu s’instruire dans sa campagne : il y a dans tous ses discours une modestie et une vérité qui nous charment. M. du Plessis est fort digne de l’estime que vous avez pour lui. Nous mangeons tous ensemble fort joliment, nous réjouissant des entreprises injustes que nous faisons quelquefois les uns sur les autres : soyez en repos sur cela, n’y pensez plus, et laissez-moi la honte de trouver qu’un roitelet sur moi soit un pesant fardeau[1]. J’en suis affligée, mais il faut céder à la grande justice de payer ses dettes ; et vous comprenez cela mieux que personne ; vous êtes même assez bonne pour croire que je ne suis pas naturellement avare, et que je n’ai pas dessein de rien amasser. Quand vous êtes ici, ma chère bonne, vous parlez si bien à votre fils, que je n’ai qu’à vous admirer ; mais, en votre absence, je me mêle de lui apprendre les manèges des conversations ordinaires qu’il est important de savoir ; il y a des choses qu’il ne faut pas ignorer. Il serait ridicule de paraître étonné de certaines nouvelles sur quoi l’on raisonne ; je suis assez instruite de ces bagatelles. Je lui prêche fort aussi l’attention à ce que les autres disent, et la présence d’esprit pour l’entendre vite, et y répondre : cela est tout à fait capital dans le monde. Je lui parle des prodiges de présence d’esprit que Dangeau nous contait l’autre jour ; il les admire, et je pèse sur l’agrément et sur l’utilité même de cette sorte de vivacité. Enfin, je ne suis point désapprouvée par M. le chevalier. Nous parlons ensemble de la lecture, et du malheur extrême d’être livré à l’ennui et à l’oisiveté ; nous disons que c’est la paresse d’esprit qui ôte le goût des bons livres, et même des romans : comme ce chapitre nous tient au cœur, il recommence souvent.

  1. Voyez la fable du Chêne et du roseau.