Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/570

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il a fort bien causé : il est, en vérité, fort joli. Nous mangeons ensemble, ne vous mettez point en peine ; le chevalier prend le marquisat moi M. du Plessis, et cela nous fait un jeu. Versailles nous séparera, et je garderai M. du Plessis. J’approuve fort le bon augure d’avoir été préservé par son épée. Au reste, ma très-chère, si vous aviez été ici, nous aurions fort bien pu aller à Livry : j’en suis, en vérité, la maîtresse, comme autrefois. Je vous remercie d’y avoir pensé. Je me pâme de rire de votre sotte bête de femme, qui ne peut pas jouer, que le roi d’Angleterre n’ait gagné une bataille : elle devraitêtre armée jusque-là comme une amazone, au lieu de porterie violet et le blanc, comme j’en ai vu. Pauline n’est donc pas parfaite ? tant mieux, vous vous divertirez à la repétrir : menez-la doucement : l’envie de vous plaire fera plus que toutes les gronderies. Toutes mes amies ne cessent de vous aimer, de vous estimer, de vous louer ; cela redouble l’amitié que j’ai pour elles. J’ai mes poches pleines de compliments pour vous. L’abbé de Guénégaud s’est mis ce matin à vous bégayer un compliment à un tel excès, que je lui ai dit : Monsieur l’abbé, finissez donc, si vous voulez qu’il soit achevé avant la cérémonie[1]. Enfin, ma chère enfant, il n’est question que de vous et de vos Grignans. J’ai trouvé, comme vous, le mois de novembre assez long, assez plein de grands événements ; mais je vous avoue que le mois d’octobre m’a paru bien plus long et plus ennuyeux ; je ne pouvaisdu tout m’accoutumer àne point vous trouver à tout moment : ce temps a été bien douloureux ; votre enfant a fait de la diversion dans le mois passé. Enfin je ne vous dirai plus, Il reviendra ; vous ne le voulez pas : vous voulez qu’on vous dise, Le voilà. Oh ! tenez donc, le voilà lui-même en personne.

Le marquis de Grignan.

Si ce n’est lui-même, c’est donc son frère, ou bien quelqu’un des siens. Me voilà donc arrivé, madame ; et songez que j’ai été voir de mon chef M. de Lamoignon, madame de Coulanges et madame de Bagnols. N’est-ce pas l’action d’un homme qui revient de trois sièges ? J’ai causé avec M. de Lamoignon auprès de son feu ; j’ai pris du café avec madame de Bagnols ; j’ai été coucher chez un baigneur : autre action de grand homme. Vous ne sauriez croire la joie que j’ai d’avoir une si belle compagnie, je vous en ai l’obligation : je l’irai voir quand elle passera à Châlons. Voilà donc déjà une bonne compagnie, un bon lieutenant, un bon maréchal

  1. C’est-à-dire, avant le premier de l’an 1689.