Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/578

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compagnie que vous avez de plus, et peut-être l’unique. Pour M. d’Aix, je vous avoue que je ne croirais pas les Provençaux sur son sujet. Je me souviens fort bien qu’ils se font valoir et ne subsistent que sur les dits et redits, et les avis qu’ils donnent toujours pour animer et trouver de l’emploi. Il n’en faut pas tout à fait croire aussi M. d’Aix : cependant le moyen de penser qu’un homme toute sa vie courtisan, et qui renie chrême etbaptême, qui ne se soucie point des intrigues des consuls, voulût se déshonorer devant Dieu et devant les hommes par de faux serments ? Mais c’est à vous d’en juger sur les lieux.

La cérémonie de y os frères fut donc faite le jour de l’an à Versailles. Coulanges en est revenu, qui vous rend mille grâces de votre jolie réponse : j’ai admiré toutes les pensées qui vous viennent, et comme cela est tourné et juste sur ce qu’on vous a écrit. Il m’a conté que l’on commença dès le vendredi, comme je vous l’ai dit : ces premiers étaient profès avec de beaux habits et leurs colliers : deux maréchaux de France étaient demeurés pour le samedi. Le maréchal de Bellefonds était totalement ridicule, parce que, par modestie et par mine indifférente, il avait négligé de mettre des rubans au bas de ses chausses de page, de sorte que c’était une véritable nudité. Toute la troupe était magnifique, M. de la Trousse des mieux ; il y eut un embarras dans sa perruque, qui lui fit passer ce qui était à côté assez longtemps derrière, de sorte que sa joue était fort découverte ; il tirait toujours ce qui l’embarrassait qui ne voulait pas venir ; cela fit un petit chagrin. Mais, sur la même ligne, M. de Montchevreuil et M. de Villars s’accrochèrent l’un à l’autre d’une telle furie ; les épées, les rubans, les dentelles, les clinquants, tout se trouva tellement mêlé, brouillé, embarrassé, toutes les petites parties crochues[1] étaient si parfaitement entrelacées, que nulle main d’homme ne put les séparer ; plus on y tâchait, plus on les brouillait, comme les anneaux des armes de Roger. Enfin, toute la cérémonie, toutes les révérences, tout le manège demeurant arrêté, il fallut les arracher de force, et le plus fort l’emporta. Mais ce qui déconcerta entièrement la gravité de la cérémonie, ce fut la négligence du bon M. d’Hocquincourt, qui était tellement habillé comme les Provençaux et les Bretons, que ses chausses de page

  1. Allusion aux atomes crochus qui, suivant Épicure, forment les parties élémentaires de la matière et de l’universalité des êtres.