Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/594

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vous y soyez ennuyée. Pauline doit avoir été surprise du spectacle : elle n’est pas en droit d’en souhaiter un plus parfait. Tai une idée si agréable de Marseille, que je suis assurée que vous n’avez pas pu vous y ennuyer, et je parie pour cette dissipation contre celle d’Aix.

Mais ce samedi même, après cette belle Esther, le roi apprit la mort de la jeune reine d’Espagne[1], en deux jours, par de grands vomissements : cela sent bien le fagot. Le roi le dit à Monsieur le lendemain, qui était hier : la douleur fut vive, Madame criait les hauts cris ; le roi en sortit tout en larmes.

On dit de bonnes nouvelles d’Angleterre : non-seulement le prince d’Orange n’est point élu ni roi ni protecteur, mais on lui fait entendre que lui et ses troupes n’ont qu’à s’en retourner : cela abrège bien des soins. Si cette nouvelle continue, notre Bretagne sera moins agitée, et mon fils n’aura point le chagrin de commander la noblesse de la vicomte de Rennes et de la baronnie de Vitré : ils l’ont élu malgré lui pour être à leur tête : un autre serait charmé de cet honneur ; mais il en est fâché, n’aimant, sous quelque nom que ce puisse être, la guerre par ce côté-là.

Votre enfant est allé à Versailles pour se divertir ces jours gras ; mais il a trouvé la douleur de la reine d’Espagne : il serait revenu, sans que son oncle le va trouver tout à l’heure. Voilà un carnaval bien triste et un grand deuil. Nous soupâmes hier chez le Civil {M. le Camus), la duchesse du Lude, madame de Coulanges, madame de Saint-Germain, le chevalier de Grignan, M. de Troyes, Corbinelli et moi : nous fûmes assez gaillards, nous parlâmes de vous avec bien de l’amitié, de l’estime, du regret de votre absence, enfin un souvenir tout vif : vous viendrez le renouveler.

Madame de Durfort se meurt d’un hoquet d’une fièvre maligne. Madame de la Vieuville aussi, du pourpre de la petite vérole. Adieu, ma très-aimable : de tous ceux qui commandent dans les provinces, croyez que M. de Grignan est le plus agréablement placé.


283. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 28 février 16S9.

Monsieur le chevalier s’en alla hier après dîner à Versailles, pour apprendre sa destinée ; car, ne s’étant point trouvé sur les

  1. Marie-Louise d’Orléans, fille de Monsieur et de Henriette-Anne d’Angleterre, sa première femme.