Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/593

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chants, des personnes, si parfait et si complet, qu’on n’y souhaite rien ; les filles qui font des rois et des personnages sont faites exprès : on est attentif, et on n’a point d’autre peine que celle de voir finir une si aimable pièce : tout y est simple, tout y est innocent, tout y est sublime et touchant : cette fidélité de l’histoire sainte donne du respect ; tous les chants convenables aux paroles, qui sont tirées des Psaumes et de la Sagesse, et mis dans le sujet, sont d’une beauté qu’on ne soutient pas sans larmes : la mesure de l’approbation qu’on donne à cette pièce, c’est celle du goût et de l’attention. J’en fus charmée, et le maréchal aussi, qui sortit de sa place pour aller dire au roi combien il était content, et qu’il était auprès d’une dame qui était bien digne d’avoir vu Esther. Le roi vint vers nos places ; et, après avoir tourné, il s’adressa à moi, et me dit : « Madame, je suis assuré que vous avez été contente. » Moi, sans m’étonner, je répondis : « Sire, je suis charmée, ce que je sens est au-dessus des paroles. » Le roi me dit : « Racine a bien de l’esprit. » Je lui dis : « Sire, il en a beaucoup ; mais, en vérité, ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi : elles entrent dans le sujet, comme si elles n’avaient jamais fait autre chose. — Ah ! pour cela, reprit-il, il est vrai. » Et puis Sa Majesté s’en alla, et me laissa l’objet de l’envie : comme il n’y avait quasi que moi de nouvelle venue, le roi eut quelque plaisir de voir mes sincères admirations sans bruit et sans éclat. M. le Prince et madame la Princesse vinrent me dire un mot : madame de Maintenon un éclair ; elle s’en allait avec le roi : je répondis à tout, car j’étais en fortune.

INous revînmes le soir aux flambeaux : je soupai chez madame de Coulanges, à qui le roi avait parlé aussi avec un air d’être chez lui, qui lui donnait une douceur trop aimable. Je vis le soir M. le chevalier, je lui contai tout naïvement mes petites prospérités, ne voulant point les cachotter sans savoir pourquoi, comme de certaines personnes ; il en fut content, et voilà qui est fait ; je suis assurée qu’il ne m’a point trouvé, dans la suite, ni une sotte vanité, ni un transport de bourgeoise : demandez-lui. M. de Meaux (Bossuet) me parla fort de vous, M. le Prince aussi : je vous plaignis de n’être pas là ; mais le moyen ? on ne peut pas être partout. Vous étiez à votre opéra de Marseille : comme Atys est non-seulement trop heureux[1], mais trop charmant, il est impossible que vous

  1. Vers de l’opéra d’Atys.