Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/60

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à des louanges comme les vôtres. Je vous assure donc que je suis ravie que vous ayez bonne opinion de mon cœur ; et je vous assure de plus, sans vouloir vous rendre douceurs pour douceurs, que j’ai une estime pour vous infiniment au-dessus des paroles dont on se sert ordinairement pour expliquer ce que l’on pense, et que j’ai une joie et une consolation sensible de vous pouvoir entretenir d’une affaire où nous prenons tous deux tant d’intérêt.

Aujourd’hui notre cher ami est encore allé sur la sellette. L’abbé d’Effiat l’a salué en passant* ; il lui a dit, en lui rendant le salut : « Monsieur, je suis votre très-humble serviteur, » avec cette mine riante et fixe que nous lui connaissons. L’abbé d’Effiat a été si saisi de tendresse, qu’il n’en pouvait plus.

Aussitôt que M. Fouquet a été dans la chambre, M. le chancelier lui a dit de s’asseoir. Il a répondu : « Monsieur, vous prîtes hier avantage de ce que je m’étais assis ; vous croyez que c’est reconnaître la chambre : puisque cela est, je vous prie de trouver bon que je ne me mette pas sur la sellette. » Sur cela M. le chancelier a dit qu’il pouvait donc se retirer. M. Fouquet a répondu : « Je ne prétends point par là faire un incident nouveau : je veux seulement, si vous le trouvez bon, faire ma protestation ordinaire, et en prendre acte ; après quoi je répondrai.»

Il a été fait comme il a souhaité ; il s’est assis, et on a continué la pension des gabelles, à quoi il a parfaitement bien répondu. S’il continue, ses interrogations lui seront bien avantageuses. On parle fort à Paris de son admirable esprit et de sa fermeté. Il a mandé une chose qui me fait frissonner. Il conjure une de ses amies de lui faire savoir son arrêt par une voie enchantée, bon ou mauvais, comme Dieu le lui enverra, sans préambule, afin qu’il ait le temps de recevoir la nouvelle par ceux qui viendront la lui dire ; ajoutant que, pourvu qu’il ait une demi-heure pour se préparer, il est capable de recevoir sans émotion tout le pis qu’on lui puisse apprendre. Cet endroit-là me fait pleurer, et je suis assurée qu’il vous serre le cœur.

On n’est point entré aujourd’hui (mercredi) en la chambre, à cause de la maladie de la reine, qui a été à l’extrémité : elle est un peu mieux. Elle reçut hier au soir Notre-Seigneur comme viatique. Ce fut la plus magnifique et la plus triste chose du monde, de voir le roi et toute la cour, avec des cierges et mille flambeaux, aller conduire et requérir le saint sacrement. Il fut reçu avec une infinité de lumiè-